À droite toutes

dimanche 3 novembre 2002, par France-Isabelle LANGLOIS

L’élection de Lula au Brésil est un succès éclatant de la gauche et des progressistes. Mais en Amérique et en Europe, ce sont les partis de droite qui l’emportent de plus en plus. De Bush à Berlusconi, en passant par Mario Dumont, qu’est ce qui fait pencher une partie de l’électorat à droite ?

À l’aide d’une incroyable fraude électorale, George W. Bush s’est installé aux commandes du pays le plus puissant de la planète par une journée pluvieuse de janvier 2001. Il s’est appliqué par la suite à faire passer une série de lois toutes plus conservatrices et réactionnaires les unes que les autres. Puis les attentats du 11 septembre ont donné le feu vert au président des États-Unis pour toutes les guerres et toutes les restrictions de droits civils. Cependant, et du même coup, nous n’avions pas assisté à une telle mobilisation de la part de la population américaine contre la guerre (en Irak) - et donc contre la politique de leur gouvernement-, depuis le Vietnam.

Panorama européen

Ce même automne 2001 avait aussi vu l’élection du non moins gouvernement de droite, néolibéral et conservateur du magnat de la presse, Silvio Berlusconi, en Italie. Or, depuis, les manifestations réunissant la gauche politique et les organisations sociales et progressistes se multiplient et sont souvent imposantes dans les rues de Rome.

Le 21 avril dernier c’est la consternation lors du dévoilement des résultats du premier tour des présidentielles françaises. Le président sortant, Jacques Chirac, à la tête du parti de droite UMP (Union pour la majorité présidentielle - qui deviendra le 17 novembre prochain, l’Union pour un mouvement populaire, ou Union populaire), se retrouve en liste pour le second tour non pas aux côtés du premier ministre Lionel Jospin, du Parti socialiste français (PS) « comme prévu », mais aux côtés du fasciste populiste Jean-Marie Le Pen du Front national (FN). La France entière se mobilise, la quasi-totalité des autres formations politiques de gauche, de centre, d’extrême gauche, de centre droite et de droite, appellent au vote contre Le Pen lors du deuxième tour. Deux semaines plus tard, le pari est remporté. « Victoire de la République » titreront les quotidiens français. Pour de nombreux habitants de l’Hexagone, ce n’est pas Chirac qui a gagné, c’est la démocratie et la mobilisation populaire qui a vaincu Le Pen. Mais ne leur en déplaise, le président de droite est tout de même reporté au pouvoir pour encore cinq ans et plus solidement que jamais. Car le mois suivant, lors des législatives, c’est la débandade de l’ensemble du Parti socialiste (PS). 70 % des sièges reviennent à la droite, la majorité à l’UMP.

Cependant, le taux d’abstention n’a jamais été aussi élevé, soit 39,71 %.
Après le deuxième tour des présidentielles, la gauche n’a pas su continuer à se mobiliser, à s’organiser, pour entre autres, réussir à faire sortir le vote des abstentionnistes.

Pendant ce temps, du côté des Pays-Bas, le populiste Pim Fortuyn donnait froid dans le dos avec ses propos carrément racistes voire antisémites au cours de la campagne électorale du printemps dernier. Peu de temps avant le scrutin qui se tiendra le 15 mai, l’arrogant Fortuyn est assassiné. Ce qui n’empêchera cependant pas son parti, la Liste Pim Fortuyn, d’être le troisième parti de la coalition qui formera le gouvernement, réunissant aussi les chrétiens-démocrates (CDA), et les libéraux (VVD). Il y a quelques jours la coalition a annoncé sa démission à la reine Béatrix, et de nouvelles élections auront lieu en janvier 2003.

En 1999 c’est l’Autriche qui avait porté au pouvoir le Parti de la liberté d’Autriche (FP), alors dirigé par Jörg Haider, fasciste avoué, mais avec seulement 26,9 % du suffrage, moins du tiers.

Et il y a d’autres exemples encore, du côté des pays scandinaves, de la Grèce, de l’Espagne...

Chez-nous aussi

De retour sur le continent américain, ici, au Canada et au Québec, la gauche peine de plus en plus. Sur la scène fédérale, tout laisse croire, pour l’instant, que le Parti libéral (PL) sera reporté au pouvoir lors des élections en 2004. Tandis que les nationalistes du Bloc s’enlisent et que les extrémistes de la droite canadienne regroupés au sein de l’Alliance canadienne tentent de se refaire une beauté, le Nouveau parti démocratique (NPD) essaie tant bien que mal de revenir à la vie. Seul véritable parti de gauche, le NPD saura-t-il regagner tout ce qu’il a perdu de crédibilité ? Pour le moment du moins, c’est toujours et encore la doctrine néolibérale du PL qui a le vent en poupe.

Dans les années 90, le NPD a également échoué en Colombie-Britannique et en Ontario, où une partie de son électorat, déçue, n’a pas renouvelé son vote en sa faveur. Ce qui a permis aux conservateurs de Mike Harris de prendre le pouvoir en Ontario, et de s’adonner à toute une série de coupures et de privatisations du secteur public depuis 10 ans. Même son de cloche du côté de la Colombie-Britannique.

Et maintenant, c’est au Québec que la situation est inquiétante. L’Action démocratique du Québec (ADQ) de Mario Dumont a fait son bout de chemin lentement mais sûrement. Surprise au printemps dernier lors des élections partielles dans quatre circonscriptions. Trois des quatre députés élus sont adéquistes. Mario Dumont n’est plus le seul représentant de son parti à siéger à l’Assemblée nationale. Depuis, les journaux, les radios et les bulletins télévisés nous inondent de sondages qui tous prédisent l’élection fortement majoritaire de l’ADQ le printemps prochain.

Questions

Ce panorama des droites occidentales doit nous amener à nous poser de sérieuses questions. D’abord pourquoi ? Et puis qui vote pour la droite ?
Pour Jean-Yves Camus, politologue au Centre européen de recherches et d’action sur le racisme et l’antisémitisme (CERA) en France et auteur des Extrémismes en Europe (Éditions de l’Aube, La Tour-d’Aigues, 1998) et du Front national (Éditions Milan, Toulouse, 2001) : « Les nouveaux extrémismes représentent une forme de protestation de type réactionnaire contre le ralliement massif de la droite et de la gauche traditionnelles aux postulats de l’ultralibéralisme comme de la mondialisation. La gauche, en s’éloignant des couches populaires, en gouvernant par le biais d’élites auto-reproduites et enfermées dans le discours technocratique et gestionnaire, porte, dans cette vague, une responsabilité certaine, que seuls la réhabilitation du clivage droite/gauche et le retour à un projet mettant l’État au cœur de l’action publique pourront bloquer. »

Des votes qui représentent donc une protestation vis-à-vis du jeu politique traditionnel. Ce qui semble se confirmer par l’augmentation en flèche des votes blancs et des abstentions, un peu partout. Au lendemain du premier tour des présidentielles françaises, alors qu’un tiers des électeurs ne s’étaient prononcé en faveur d’aucun des candidats, Bernard Dréano, président du CEDETIM en France, écrivait dans Alternatives que ceux-ci « s’affirmaient en quelque sorte anti-système ».

Pour ce chercheur français, « cette manière de fronde électorale [...] a quelque chose de réjouissant. Mais aussi d’inquiétant, car la protestation semble s’incarner d’abord dans des discours régressifs, nostalgiques et nationalistes [...]. Les tendances d’extrême droite qui se sont manifestées en Europe ces derniers mois, en Autriche, en Italie, au Danemark sont bien présentes en France. »

Un geste de protestation
Apparemment ce serait aussi un peu le même phénomène qui se produirait ici. Les Québécois, en votant pour l’ADQ poseraient un geste de protestation. Si près de 50 % des électeurs affirment vouloir appuyer l’ADQ, la très grande majorité d’entre eux disent du même coup ne pas vraiment connaître le programme du nouveau parti et ne connaissent aucun des candidats hormis leur chef. Pour François Cyr, vice-président de la Fédération nationale des enseignants et enseignantes du Québec (FNEEQ), le parti de Mario Dumont « a su canaliser les votes protestataires à droite. Des votes qui auraient normalement dû aller ailleurs, mais la gauche a mis du temps à repenser son action politique. »

Pour Jean-Marc Piotte, sociologue et professeur à l’UQAM, le phénomène Mario Dumont représente « un rejet du Parti Libéral (PL) et du Parti Québécois (PQ) ». Si on ne peut dire que ces deux partis aient été dominés par un fort courant de droite au cours de l’histoire, il n’empêche qu’ils ont tous deux connus un chef conservateur ces derniers temps : Jean Charest pour le PL et Lucien Bouchard pour le PQ. Ainsi, pour le sociologue, le problème c’est que ces deux partis ont été omnubilés par la question nationale, et ont entretenu un flou artistique quand à la gauche et la droite : « Mario Dumont, lui, est clairement de droite, mais entretient un flou quand à la question nationale. Il dit : ‹Je ne suis pas fédéraliste, mais je ne ferai pas un autre référendum.› Ce qui correspond à l’état d’esprit de la majorité des Québécois. »

Pour sa part, le journaliste et écrivain Gil Courtemanche fait remarquer que « ce sont essentiellement des ouvriers, des gens qui instinctivement votaient à gauche, particulièrement pour le Parti communiste (PC), qui ont voté pour Jean-Marie Le Pen, ce printemps en France. Et d’après les données parcellaires des sondages, ce sont des ouvriers francophones dont on peut dire qu’en majorité ils votaient auparavant pour le PQ, qui entendent aujourd’hui appuyer Mario Dumont. Il ne faut pas faire d’amalgame. Dumont n’est pas Le Pen. Mais le populisme est le populisme. Et il triomphe quand les progressistes perdent contact avec leur clientèle naturelle. La droite est aussi partout dans le monde, la droite et ses solutions simplistes attirent les égarés dans les moments d’incertitude. » Jean-Marc Piotte est du même avis, si Mario Dumont emporte autant de succès maintenant, « c’est en partie à cause du silence des intellectuels non seulement progressistes, mais aussi libéraux qui n’ont que de la complaisance à manifester à l’égard de Dumont. De même, du côté communautaire et syndical, où il y a eu un total manque d’intervention. »

Le sociologue est aussi d’avis que c’est surtout le milieu francophone et nationaliste qui entend donner son appui à l’ADQ. Si les leaders du parti sont jeunes, ce n’est pas nécessairement le cas de ses électeurs : « Les candidats de l’ADQ se sont politisés dans les années 90 alors que le néolibéralisme était triomphant. Aujourd’hui, les jeunes de 20 ans ne croient plus du tout à l’idéologie néolibérale. »

Pour le syndicaliste François Cyr, les données sociologiques relatives à l’électorat favorable à Mario Dumont, restent pour l’instant imprécises. Mais il croit aussi que c’est surtout chez les francophones que le parti recrute, au sein de la petite classe moyenne et auprès des élites économiques régionales. En termes d’âge, il n’y aurait pas de polarisation pour l’instant au sein d’un groupe bien défini.

La gauche n’a sans doute d’autre choix que de se ressaisir et de se redéfinir. Car apparemment, c’est un peu de sa faute, si le vote contestataire semble se polariser à droite. Un travail qui a commencé. Mais le temps presse...


Quelques liens Internet :

Dans le site du Monde diplomatique, vous pouvez retrouver plusieurs articles intéressants et étoffés sur la montée des droites, particulièrement en Europe, et notamment dans le numéro de mai 2002.

http://www.monde-diplomatique.fr/2002/05/

Si vous voulez rigoler un peu, visitez le site de Michael Moore, qui dans ses films et ses livres n’a de cesse de vilipender ses concitoyens les Américains, à commencer par ceux qui résident à la Maison-Blanche. Vous y retrouverez une série d’information concernant la politique réactionnaire américaine (en anglais).

http://www.michaelmoore.com

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