Du 22 au 25 novembre derniers, j’ai eu l’opportunité de participer à un événement trop peu connu (du moins du nord !) à Baghdad. Une rencontre regroupant des militantes et militants de toutes confessions religieuses, provenant de 11 villes irakiennes, organisés autour de 8 thèmes structurant leurs luttes de chaque jour pour le changement social. Cet événement, en soit extraordinaire mais encore davantage dans un pays au prise avec autant de difficultés, c’était le Forum social Irakien, sans doute un des modèles de forum social national parmi les plus matures et surtout les plus utiles qu’il m’ait été donné de connaître au sein de la grande mouvance des forums sociaux auxquels j’ai eu la chance de participer.
J’en ai tiré trois leçons à retenir pour le succès de forums sociaux :
Leçon 1 : Une structure « à 2 niveaux », facilitant à la fois la participation locale et nationale
Le Forum Social Irakien en est cette année à sa 5e édition annuelle. Sa structure ouverte, « à deux niveaux », à la fois géographique et thématique, permet une implication large d’à peu près tous les mouvements et organisations au niveau où ils le souhaitent.
Onze forums sociaux municipaux constituent la couche de participation géographique. Les organisations membres du Forum social irakien peuvent ainsi se mobiliser avec d’autres groupes similaires actifs au niveau de leur forum local sur leurs enjeux spécifiques. Ils peuvent se coordonner pour un travail spécifique à leur niveau, local ou régional, et/ou choisir d’amener leurs visions locales/régionales au sein du processus national.
Mais les organisations peuvent aussi choisir d’organiser leur implication au niveau thématique. Huit « parcours » thématiques mobilisent les groupes. Ces parcours sont :
– Droits civils et politiques (liberté d’expression et de presse) ;
– Droits économiques, sociaux et justice sociale ;
– Environnement et eau ;
– Droits des femmes et égalité ;
– Non-violence et consolidation de la paix ;
– Droits des minorités et coexistence ;
– Droit à l’éducation ;
– Patrimoine et préservation .
À ce niveau, le travail ne convergence n’est plus seulement local ou régional, mais vise à une intégration nationale de toutes les organisations parties prenantes du « parcours ». À ce niveau, on recherche non seulement une meilleure convergence avec les autres mouvements sur les enjeux thématiques, mais surtout, on souhaite déployer ensemble un nouveau programme d’activités pour, notamment, le travail de plaidoyer auprès des divers institutions gouvernementales susceptibles de faire des changements aux législations en fonction des demandes de la société civile.
Leçon 2 : Cinq années de convergence... en continue
La premier constat à faire de ce processus est que l’événement de novembre dernier n’est vu par personne comme la finalité du processus. Au contraire, on parle des trois jours annuels à Baghdad comme d’une saison qui revient une fois l’an tout en précisant aussi l’utilité des autres saisons de l’année qui voient le reste des processus se mettre en action. Les organisations parties prenantes des parcours thématiques se rencontrent mensuellement et développent une programmation annuelle propre à ce parcours. Chacun des forums municipaux ont aussi leurs propres processus et le forum national dans ce contexte n’est plus que ce qu’il doit être ; une étape annuelle visant la mise en commun de tous cela. Il demeure important bien évidemment que ce tienne ce forum social irakien, mais l’emphase est mise sur le fonctionnement de la structure à deux niveaux qui est le réel résultat du processus.
Dans ce contexte, il est évident que le forum social irakien est moins une activité « grand public » qu’une rencontre de représentants d’organisations. On ne vise pas ici le grand nombre de participants qui viendraient seulement par curiosité prendre connaissance d’un enjeu ou participer à un atelier mais bien la participation des militant.e.s actifs à un niveau ou un autre du Forum.
Leçon 3 : Le Forum à l’extérieur du Forum
Contrairement à plusieurs forums auxquels j’ai pu participer, le FSI en cherche pas à regrouper ensemble toutes ces activités. Au contraire, les parties prenantes du FSI maintiennent sa présence sociale et médiatique en organisant au fil de l’année différentes activités au nom du FSI. Il en résulte un effet réel de construction de la société civile qui apparaît le plus souvent unie et pleine d’initiatives.
Davantage, cette situation répond aussi à la fameuse question de la pertinence politique du Forum social irakien qui, contrairement à ce sentiment d’inutilité que certains Forum sociaux sans projet ont pu laisser, apparaît pour tous les groupes impliqués de même que pour les observateurs comme ayant une réelle valeur ajoutée.
Un exemple concret, le Marathon annuel pour la paix organisé cette année le 30 novembre à Baghdad et qui a regroupé des milliers de jeunes et moins jeunes coureurs et coureuses pour la paix.
La plupart des « parcours » vont ainsi au fil de l’année inviter le public à participer à l’une ou l’autre de leurs activités au nom du Forum social Irakien. C’est ainsi qu’un forum social peut inviter la population à s’organiser autour d’un budget participatif, d’une campagne pour une représentation équitable des femmes au sein des institutions gouvernementales, ou encore d’une autre pour sauver le fleuve Tigre.

En conclusion :
Ce qui est intéressant ici, c’est qu’il n’y a pas de conclusion. Ces trois petites leçons qui pourraient apparaître un peu simplistes permettent justement de ne pas entrevoir le forum avec une fin à court terme mais plutôt comme un processus en pleine croissance et qui a encore beaucoup à donner à la société civile irakienne et plus globalement à l’Irak.
Je ne peux qu’espérer que d’autres sociétés s’en inspirent lorsque viendra le temps d’organiser leurs propres processus.