Washington planifie une guerre contre l’Iran

samedi 22 janvier 2005, par Pierre Beaudet

Seymour M. Hersh, anciennement du New York Times et maintenant correspondant de l’hebdomadaire The New Yorker vient de publier le 17 janvier un article décapant sur les préparatifs américains en vue d’une éventuelle guerre contre l’Iran.

Selon le journaliste, Georges W. Bush et son équipe y compris le secrétaire à la défense Donald Rumsfeld ont tassé les dissidents et les critiques depuis la réélection du Président et pris totalement le contrôle de l’appareil militaire et sécuritaire. La CIA est la grande perdante de ce bas de fer interne dont le but est de permettre aux néoconservateurs de poursuivre leurs plans grandioses de régingénierie du monde, en particulier du Proche-Orient.

En fonction de ce nouveau régime, le Pentagone (contrairement à la CIA) peut planifier toutes sortes d’opérations clandestines sans avoir à en rendre compte au Congrès.Rumsfeld et ses adjoints Paul Wolfowitz et Douglas Feith ont rencontré les chefs de l’armée récemment et leur ont dit que le temps était venu de passer à l’action, n’en déplaisent à certains généraux qui ne se sont pas gênés récemment de critiquer la stratégie de Rumsfeld en Irak. Pour les néoconservateurs, le Proche-Orient dans son ensemble est une immense zone de guerre et l’Iran est la prochaine étape.

Les Etats-Unis contre l’Europe

Depuis plus d’un an, la France, l’Allemagne et l’Angleterre tentent au nom de l’Union européenne d’empêcher l’Iran de fabriquer des armes nucléaires. C’est une course contre la montre qui reflète le conflit entre l’Union européenne et les Etats-Unis. Pour le moment, le projet européen avance, l’Iran ayant abandonné ses ambitions de construire des armes nucléaires en échange d’aide économique et d’ouvertures commerciales.

Bien que ses installations nucléaires fonctionnent toujours, l’Iran s’est engagé à de ne pas fabriquer de bombes ni à enrichir l’uranium, donc à respecter les termes du Traité sur la non-prolifération nucléaire (qu’Israël refuse toujours de signer). Depuis décembre, d’autres discussions sont en cours, ce qui pourrait mener à la destruction de certains équipements iraniens susceptibles d’être utilisés pour la fabrication d’armes. Mais Washington refuse mordicus à participer à ce processus, qualifiant les Européens de naïfs et d’incompétents. Selon les Etats-Unis, l’Iran pourrait en en trois ou cinq ans développer ses armes nucléaires et il faut les stopper pendant qu’il est temps.

Les Européens répliquent que le processus de négociation va justement mener à cela et que par ailleurs, les capacités des Iraniens sont largement surestimées, un peu comme cela avait été le cas avec l’Irak, où les fameuses armes de destruction massive n’ont jamais été une vraie menace finalement.

Par ailleurs, l’Union européenne sait que l’absence des Etats-Unis dans la négociation peut faire tout capoter, les Iraniens sachant que la menace militaire américaine peut à tout bout de champ se concrétiser.

L’intervention israélienne

Israël ne s’est pas caché pour surenchérir sur le projet mis de l’avant par les néoconservateurs américains. Selon le Ministre des affaires étrangères Silvan Shalom, seule la menace arrêtera l’Iran. Il affirme par ailleurs qu’Israël ne peut pas « tolérer » le fait que l’Iran dispose de capacités nucléaires. Shahram Chubin, un expert du centre sur la sécurité à Genève cité par Hersh, estime que cette option pourrait être désastreuse : « La destruction de réacteurs iraniens encouragerait le gouvernement iranien à disperser et à dissimuler ses capacités. Il pourrait y avoir aussi des répercussions régionales, au Liban notamment. La meilleure solution est de garder l’Iran dans le processus, en respect du traité de non-prolifération. »

Opérations clandestines

Le Président Bush a autorisé l’utilisation de commandos secrets pour engager des opérations contre des cibles terroristes dans plus de dix pays du Proche-Orient et de l’Asie du Sud. Le Pentagone dispose d’une nouvelle unité, le « Black Reconnaissance » qui travaille à ce niveau.

Depuis l’été dernier, celle-ci est à l’œuvre contre l’Iran. Des commandos ont pénétré le territoire iranien pour repérer une quarantaine de sites (nucléaires, chimiques, sites de lancement de missiles) qui pourraient être attaqués éventuellement. Les Américains et les Israéliens pensent que plus de 75% du potentiel militaire et nucléaire de l’Iran pourrait être détruit sans trop de dommages « collatéraux ».Un commandement américain spécial pour superviser l’opération iranienne est localisé au Pakistan, où il coopère étroitement avec le gouvernement de Pervez Musharraf, en échange de quoi les Etats-Unis sont prêts à fermer les yeux sur l’expansion du programme nucléaire pakistanais. Des unités spéciales américaines opèrent le long de la frontière entre l’Iran et l’Afghanistan. Des avions israéliens font également du repérage qui permettraient éventuellement de tirer des missiles contre l’Iran à partir d’avions ou des trois sous-marins récemment acquis par l’armée israélienne. Les plans du Pentagone incluent aussi l’éventualité d’une invasion terrestre.

Les stratèges du commandement central (Central Command) à Tampa (Floride) sont en train de réviser ces plans, notamment en incluant la possibilité d’envahir l’Iran à partir de l‘Irak, de l’Afghanistan ou même des républiques d’Asie centrale.

« Changement de régime »

Si le but officiel demeure de détruire la capacité nucléaire de l’Iran, il est clair que les ambitions des néoconservateurs vont plus loin. Selon Seymour Hersh, le résultat espéré est le renversement du régime, qui tomberait, selon Washington, comme un château de cartes (comme les régimes communistes en Europe de l’Est), si une pression militaire suffisante est exercée. Mais cette opinion est partagée, même à Washington. Certains estiment qu’une attaque contre l’Iran au lieu d’affaiblir le régime pourrait le renforcer, la majorité des Iraniens se ralliant derrière leur gouvernement devant l’agression.

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