Vivendi reine de l’or bleu au Niger

lundi 2 septembre 2002, par Moussa TCHANGARI

À l’heure de la globalisation, le contrôle des ressources en eau est devenu un enjeu économique majeur pour les grandes firmes transnationales, comme Vivendi-Générale des eaux et Suez-Lyonnaise, qui se sont accaparés près de 40 % du marché mondial de l’eau, et réalisent des profits énormes sur le dos de plus 200 millions de consommateurs. L’exemple du Niger.

Un des plus gros « requins d’eau potable », Vivendi Water, a pris le contrôle de la distribution de l’eau potable au Niger, un pays où seulement 43 % de la population a accès à cette ressource vitale. Un an après, les ménages nigériens se rendent compte que le règne de Vivendi a transformé l’eau en « or bleu », inaccessible pour la majorité de la population.

Après un an seulement de privatisation, le prix du mètre cube d’eau potable a subi une hausse de 13 % pour les classes moyennes par rapport aux tarifs en vigueur depuis décembre 1999. La tranche sociale qui concerne les bornes-fontaines et les ménages les plus démunis a connu quant à elle une hausse de 5 %, passant de 115 à 121 francs CFA. Pour l’administration, l’industrie et le commerce, la hausse a atteint 11 %. Ces nouveaux tarifs sont entrés en vigueur le 1er avril dernier, au grand dam des organisations de la société civile, qui ont exprimé leur opposition à cette mesure à travers une série de manifestations de rue à Niamey.

De plus, la Société d’exploitation des eaux du Niger (SEEN) a annoncé, tout dernièrement, une hausse du tarif de la police d’abonnement à l’eau, qui est passé de 6 453 à 16 475 francs CFA. Désormais, ceux qui veulent adhérer au club des abonnés de Vivendi, et disposer d’un robinet chez eux, devront payer deux fois et demi plus cher. Les branchements sociaux promis par le gouvernement, vont donc être prohibitifs pour de nombreux ménages nigériens. D’autant que les revenus de ces ménages continuent de chuter, sous l’effet des politiques d’ajustement structurel qui entraînent une généralisation incroyable de la pauvreté : 63 % des Nigériens vivent en dessous du seuil de pauvreté, avec un revenu journalier de 1 dollar US.

La hausse des tarifs opérée au mois de mars dernier, est par ailleurs la deuxième du genre en l’espace de deux ans. Déjà fin 1999, le gouvernement militaire du commandant Wanké avait décidé d’une hausse des prix. À l’époque, les autorités ont affirmé que cette décision visait d’une part, à résorber le déficit financier de la Société nationale des eaux (SNE) évalué à quelque 5 milliards de francs CFA, et d’autre part, à réaliser des investissements pour améliorer la qualité du service et assurer l’accès du plus grand nombre à l’eau potable. Curieusement, sans faire le point sur les résultats de la hausse de 1999, le gouvernement en place décide, un an plus tard, de liquider la SNE, d’augmenter à nouveau les prix, et de contracter un prêt de plus de 50 milliards pour atteindre les mêmes objectifs.

Banque mondiale

En vérité, la flambée des prix de l’eau potable ne s’explique que par les conditionnalités posées par la Banque mondiale, dans le cadre du projet sectoriel eau (PSE). Sur papier, le but de ce projet est « d’accroître le taux de desserte en eau et le renforcement des capacités des institutions en matière de gestion et de planification ». En milieu urbain, il se propose tout d’abord d’améliorer l’accès à l’eau potable, avec un accent particulier sur les couches sociales les plus défavorisées (11 220 branchements sociaux et 556 bornes-fontaines) ; ensuite, d’accroître l’efficacité et la viabilité financière du sous-secteur ; et enfin, d’améliorer, dans le cadre du projet pilote, l’assainissement dans les quartiers périurbains de la ville de Niamey. En milieu rural, le projet envisage de réhabiliter et optimiser 50 mini-réseaux d’adduction d’eau potable des régions de Zinder, Maradi et Tahoua, de promouvoir le secteur privé, et enfin, d’améliorer l’assainissement et l’hygiène du milieu.

À côté de quelques beaux objectifs, le projet sectoriel proclame que la gestion de l’eau, tant dans les centres urbains que dans les centres ruraux, doit être confiée à des privés, et obéir aux lois du marché. De ce fait, il s’inscrit parfaitement dans la logique chère à la Banque mondiale, qui veut que l’eau soit définie comme un bien économique, dont l’accès doit être considéré comme un « besoin humain de base » plutôt que comme un « droit humain et social de base ». La Banque mondiale soutient, depuis plusieurs années, que « la fixation d’un prix de marché au coût total des prestations fournies permet d’assurer l’équilibre entre l’offre et la demande, et de limiter les conflits autour de l’eau » ; elle considère que « la privatisation est la seule solution pour réduire les gaspillages et lutter efficacement contre la pénurie et l’augmentation rapide du prix de l’eau ».

Vivendi roule sur l’or bleu

Depuis le 20 mars 2001, Vivendi Water règne sur le secteur de l’eau potable dans notre pays. Elle a pris le contrôle des 51 centres urbains gérés par la Société nationale des eaux (SNE). La délégation de la gestion de l’eau à Vivendi, est intervenue à la suite d’une réforme du secteur de l’eau, préalable à la mise en œuvre du projet sectoriel eau (PSE).

Dans le cadre de cette réforme, la production, la distribution et la vente de l’eau potable sont confiées à la SEEN au niveau des centres urbains ; tandis que la gestion du patrimoine et l’exécution des travaux d’extension du réseau d’adduction d’eau potable sont entre les mains de la Société de patrimoine des eaux du Niger (SPEN). Le respect des normes de qualité, l’arbitrage des conflits entre les acteurs et la défense des intérêts des consommateurs, relèvent de l’Autorité de régulation multisectorielle (ARM), qui est un organisme paritaire indépendant de l’État. Or le gouvernement traîne encore à mettre sur pied cet organisme, qui risque de le contrarier dans sa politique de privatisation sauvage. La définition de la vision stratégique et de la politique tarifaire reste sous la responsabilité du gouvernement ; mais, cette prérogative n’apparaît guère plus que comme le vernis de la politique de désengagement de l’État de ce secteur stratégique. Dans la réalité, la politique nationale en matière de gestion des ressources en eau est, comme dans beaucoup d’autres pays, déterminée par la Banque mondiale. Le rôle de l’État se limite, ici comme ailleurs, à assurer le remboursement des prêts contractés auprès des bailleurs de fonds, dans le cadre du projet sectoriel eau (PSE).

Aussi, le financement du PSE est assuré, pour l’essentiel, par des prêts contractés auprès de la Banque mondiale (33,6 milliards), de la Banque ouest africaine de développement (BOAD) (6,6 milliards) et de l’Agence française de développement (4,9 milliards). Les autres bailleurs de fonds sont la République populaire de Chine qui y intervient pour un montant de 0,6 milliard, la SEEN pour 2,4 milliards et l’État nigérien pour 5,7 milliards. En tant que principal intervenant de ce projet, la Banque mondiale a obtenu d’une part, que les prix de vente de l’eau soient revus à la hausse chaque année, et d’autre part, que l’argent emprunté par l’État soit rétrocédé à la SPEN, qui est le maître d’œuvre de tous les travaux projetés. En réalité, la SPEN n’est ni plus ni moins qu’une agence d’exécution de la politique convenue avec la Banque mondiale. Elle est chargée aussi d’assurer le remboursement des prêts mis à sa disposition par l’État, avec la redevance que la SEEN collecte mensuellement auprès de ses clients. Cette redevance est constituée sur la base de la différence entre le prix exploitant de l’eau (190 francs CFA/m3) et le prix moyen appliqué au consommateur (230 francs CFA/m3).

Payer doublement

Il apparaît clairement que la hausse du prix de l’eau sert avant tout à rembourser la dette contractée par l’État pour la réalisation des infrastructures prévues dans le cadre du projet sectoriel eau ; et c’est pour cette raison que la Banque mondiale tient à ce que le tarif soit rehaussé chaque année. Les infrastructures réalisées vont être mises à la disposition de Vivendi, conformément au contrat d’affermage qu’il a signé avec l’État et la SPEN. L’intérêt de Vivendi est double : non seulement, elle participe à la réalisation de ces ouvrages en tant que prestataire, et par conséquent se fait payer pour ses travaux, mais en plus, ces ouvrages sont gracieusement mis à sa disposition, pour élargir son réseau de clientèle, et amasser de gros profits dans les années à venir. Dans le cadre de son contrat d’affermage, cette compagnie ne s’est engagée qu’à investir 3 milliards de francs CFA pour la réhabilitation et le renouvellement des ouvrages. À ce jour, elle n’a dépensé que la modique somme de 4 millions de francs CFA ; pour le reste, elle attend de gagner elle-même plus d’argent.

Les populations nigériennes vont, quant à elles, payer doublement : elles vont continuer à subir des hausses successives, pour assurer le remboursement des prêts contractés, et pour permettre à Vivendi d’améliorer sa marge bénéficiaire.

Moussa Tchangari, correspondant à Niamey, journal Alternatives.


L’auteur est également le directeur de l’hebdomadaire nigérien d’opposition, Alternative.

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