
Contrairement à la réalité européenne, ou même canadienne marquée par la présence significative du Nouveau parti démocratique (NPD), le Québec n’a jamais connu de parti de gauche unifié, stable, ayant fait des gains électoraux. Qu’est-ce qui fera de cette nouvelle tentative un succès ? Question de timing diront certains. L’initiative du Mouvement socialiste, portée dans les années 1980 notamment par des syndicalistes comme Marcel Pépin, avait produit un manifeste intéressant, mais n’avait pas réussi à s’incarner en parti politique. « L’initiative [s’était] déployée au mauvais moment, en plein contexte d’offensive néolibérale », soutient Amir Khadir, porte-parole de l’UFP. Selon Françoise David, porte-parole d’OC, la Marche du pain et des roses en 1995 a éveillé les imaginaires après une « longue traversée du désert », suivie par d’importantes mobilisations, telles la Marche mondiale des femmes et le Sommet des peuples de Québec. Les gens auraient maintenant pris conscience des « effets incommensurablement pervers du néolibéralisme » et seraient beaucoup plus réceptifs aux idées de gauche aujourd’hui.
Tout ceci dans un contexte de désenchantement politique caractérisé par la désaffection à l’égard des scrutins, particulièrement chez les jeunes. Cette situation s’explique, d’après Jean-Marc Piotte, professeur au Département de science politique de l’UQAM, par le fait que « les partis traditionnels ne rejoignent pas leurs préoccupations, et [que] les politiciens font le contraire de ce qu’ils disent ». M. Piotte est aussi d’avis qu’il existe une réelle montée de la gauche chez les jeunes, qui sont loin d’être apolitiques, comme en témoignent les récentes grèves étudiantes ou l’importance du mouvement altermondialiste. Ceux-ci seront attentifs au discours de la nouvelle formation politique, « tout comme les mouvements des femmes et les milieux communautaires ».

Plusieurs observateurs ont attiré l’attention sur l’atout que représente l’arrivée de Françoise David en politique et la démarche d’Option citoyenne, afin de démystifier l’action politique et de la rapprocher de l’action sociale et communautaire. Françoise David insiste néanmoins sur l’autonomie et l’indépendance des mouvements sociaux face au nouveau parti : « Nous ne demanderons pas d’appuis officiels, mais il est évident qu’il faut créer des ponts », précise-t-elle.
Deux démarches unifiées
Certains ont reproché à Françoise David de ne pas avoir intégré l’UFP dès le départ et d’avoir fait « un long détour pour une fusion souhaitée », comme elle le reconnaît d’emblée. « Mais ce n’est pas parce que tu es en amour que tu es obligé d’habiter ensemble tout de suite. La démarche a permis aux deux côtés de s’apprivoiser ». Convaincue en 2004 de vouloir entrer en politique, mais ne pouvant ignorer l’UFP, dont les valeurs rejoignent les siennes, elle a d’abord choisi, avec les militants d’Option citoyenne, de fonder cette plateforme politique. Le mouvement souhaitait consulter, rassembler et amorcer un questionnement quant aux objectifs, au fonctionnement et aux idéaux recherchés.
« Au départ, j’étais découragé de voir le temps qu’ils prenaient, mais en rétrospective, je dois avouer que ce fut une très bonne chose », souligne Amir Khadir. En effectuant sa tournée dans les régions du Québec, Françoise David a su intéresser des femmes de divers milieux, communautaires et autres, qui n’avaient jamais fait de politique auparavant. « C’est un ajout majeur que la gauche traditionnelle n’était pas capable de faire », ajoute-t-il. Chacune des parties de cette fusion y apporte ses forces : la culture du mouvement des femmes pour OC, et « la capacité d’analyse et l’expérience politique sur le terrain » de l’UFP, précise Mme David.
Des défis
Pour gagner leur crédibilité, les principaux protagonistes sont conscients qu’ils ne pourront rester dans la marge trop longtemps. « Ça prend des victoires électorales et politiques », affirme Amir Khadir. Jean-Marc Piotte va dans le même sens : « Il y a un risque réel, si la machine électorale n’est pas crédible, que la gauche se fasse ridiculiser et marginaliser davantage ». Ce dernier insiste sur l’importance pour la nouvelle formation de se présenter aux élections de façon sérieuse, ce qui veut d’abord dire avoir une solide organisation et une connaissance des comptés, des électeurs et de la manière d’aller les chercher.
Le professeur de science politique insiste également sur la nécessité d’avoir un programme électoral clair. « Les gens ne liront pas le programme. Il faut savoir diffuser quelques idées avec force, d’autant plus qu’ils ne bénéficieront pas de la même attention des médias que les autres partis ». Il se réjouit toutefois de la grande capacité de communication dont jouissent les deux principaux leaders. « Amir Khadir peut rejoindre les immigrants et peut les comprendre. Quant à Françoise David, une femme, elle a la capacité formidable de parler aux gens de façon simple et de rejoindre monsieur et madame tout le monde. »
Horizons politiques
Avec l’arrivée au pouvoir de Stephen Harper du côté fédéral, la présence des libéraux de Jean Charest au Québec et l’élection d’André Boisclair à la tête du Parti québécois (PQ), certains se demandent si le déploiement de la droite ne pourrait pas être salutaire pour l’émergence d’un parti de gauche. André Boisclair loge-t-il à droite ? Sur cette question, les deux porte-parole demeurent prudents. « On travaille avec des perceptions parce qu’il ne parle pas beaucoup. Et quand il le fait, c’est souvent navrant », soutient Françoise David. Quant à Khadir, sans présager de l’avenir, il ajoute que l’image marketing de Boisclair le présente comme la jeunesse et le changement. Mais s’il demeure fidèle aux orientations qu’il prenait à titre de ministre des gouvernements Bouchard et Landry, « alors c’est une bénédiction pour nous », ironise M. Khadir.
Au Québec, on ne peut nier que la question nationale ait été un élément structurant de l’organisation politique et particulièrement de la gauche. Selon Jean-Marc Piotte, la gauche au Québec a lié indépendance et socialisme comme « deux fesses égales et indissociables », la plaçant en position d’infériorité face au PQ qui prétendait pouvoir réussir au moins l’un des deux objectifs. Il voit toutefois de façon positive, voire comme une condition de succès, le fait que cette nouvelle formation politique doive placer la question sociale avant la question nationale.
Option citoyenne a pris plus d’un an pour clarifier, dans un débat « serein, sans déchirement », la place accordée à la question nationale et la démarche qui l’accompagne. « Si seulement le débat sur la souveraineté au Québec pouvait se faire comme nous l’avons fait à OC... », soupire Françoise David. Ses propos sur la priorité de miser avant tout sur les enjeux sociaux rejoignent ceux d’Amir Khadir. « Nous parlons d’abord de justice sociale, d’environnement... La souveraineté, que l’on voit comme un moyen pour atteindre cet objectif, n’en est pas le principal enjeu », précise-t-il.
La fusion des deux formations changera-t-elle complètement le paysage politique du Québec, comme l’espère Amir Khadir et Françoise David ? « La seule façon de vivre, c’est de voir les raisons d’espérer », conclut M. Piotte, songeur.