Ce congrès réunit pour la première fois des acteurs au cœur des rivalités syndicales et politiques qui ont marqué la deuxième moitié du 20e siècle. La domination écrasante des intérêts économiques étasuniens et l’influence exercée à l’endroit de nombreux syndicats institutionnels ont profondément marqué le mouvement syndical latino-américain. Alors que certaines organisations syndicales participaient à la transformation politique de leur pays comme au Brésil et au Chili, d’autres, sans vergogne, appuyaient les régimes corrompus. Dans l’ensemble, les syndicats se sont démocratisés et ce rapprochement organisationnel entre les Confédérations syndicales servira à aplanir les différends.
Un programme d’action pour contrer l’exploitation
Cette nouvelle organisation aura du pain sur la planche ! Non seulement elle doit composer avec un taux de syndicalisation continentale plutôt faible, moins de 10 %, mais elle doit aussi conjuguer l’action des confédérations syndicales tant du Nord que du Sud. Cette question représente un défi de taille pour le mouvement syndical parce que la mondialisation profite des disparités énormes qui existent dans les conditions de travail et de vie des populations nord et sud-américaines.
Alors que le mouvement syndical nord-américain peine à freiner les effets de l’ouverture des marchés sur le travail, les syndicats latino-américains arrivent difficilement à contrer les politiques néolibérales. En effet, malgré une croissance régionale qui dépasse les 5 % annuellement, malgré une légère réduction du chômage et une progression considérable de l’emploi formel, les inégalités restent criantes. En 2006, selon le Bureau international du travail (BIT), plus de la moitié de la population active, 126 des 239 millions de travailleurs sont au chômage ou vivent encore de l’économie informelle. Si rien n’est fait d’ici 2015, le BIT juge qu’ils seront près de 160 millions à vivre dans la misère et la pauvreté !
À cet égard, la CSA propose de développer la campagne internationale sur le travail décent qui concilie à la fois le droit à la syndicalisation et à la libre négociation. Bon nombre de pays qui reconnaissent en principe les normes internationales du travail refusent de les mettre en application. Des cas flagrants de violations des droits sont régulièrement recensés et démontrent le niveau intolérable d’exploitation qu’imposent les multinationales aux travailleurs. Malgré la présence de syndicats, la répression à l’endroit des militants syndicaux et de défense des droits freine les mobilisations.
Profiter du virage à gauche de l’Amérique latine
Si les syndicats latino-américains sont divisés face aux changements politiques qui ont cours dans leur région, il n’en demeure pas moins que la conjoncture politique de plusieurs pays favorise le renforcement de l’action syndicale. Par exemple au Brésil, la Centrale unique de travailleurs (CUT) lutte pour la reconnaissance syndicale, ce que vient de lui accorder le gouvernement Lula. En Argentine, profitant de l’élection d’un gouvernement progressiste, la Centrale des travailleurs argentins (CTA) milite en faveur des coopératives de travail et regroupe les travailleurs du secteur de l’économie informelle.
D’autre part, depuis l’échec en 2005 du projet continental de libre-échange (ZLEA) piloté par les États-Unis, bon nombre de pays du Sud se sont tournés vers des modèles alternatifs d’intégration économique qui concilient davantage les questions démocratiques et sociales. Dans la région du cône Sud, des pays comme le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay ont initié un processus d’intégration du mouvement populaire et syndical. Enfin, une bonne partie du mouvement syndical latino-américain appuie la mouvance altermondialiste et la tenue des forums sociaux mondiaux. Cette ouverture du mouvement syndical vers d’autres formes de mobilisation rend possible un renouvellement des pratiques en créant des ponts entre les travailleurs, les chômeurs et les exclus qui vivent de l’économie informelle.
Une période charnière pour le syndicalisme
Un renouveau syndical dans les Amériques est nécessaire pour le syndicalisme mondial. Le projet est ambitieux dans un contexte où les syndicats arrivent difficilement à contrer les effets négatifs de la libéralisation des marchés. L’action syndicale à l’intérieur de chaque pays ne suffit plus. Elle doit davantage s’inscrire dans des initiatives qui dépassent les barrières nationales. Comme le mentionne le secrétaire général de la future CSA Victor Baez, il faut que le mouvement syndical mène des campagnes continentales pour forcer les entreprises et les gouvernements à respecter les droits fondamentaux des travailleurs, et ce, tout en contribuant au renforcement des mouvements sociaux.