Chroniques Afghanes

Une clé pour l’Afghanistan

vendredi 2 mars 2007, par Benoîte Labrosse

Avec ses Chroniques Afghanes, photographies et vidéo, Dominic Morissette nous propose un documentaire personnel sur un enjeu majeur pour l’Afghanistan d’aujourd’hui : la liberté de la presse.

Pour Dominic Morissette, « la photographie et le tournage ne sont qu’un prétexte pour aller voir les gens ». Et pour partir à la découverte d’un pays, aurait-on envie d’ajouter. Débarqué en Afghanistan pour donner des ateliers de photographie et de vidéo à Kaboul, le cinéaste y fait la connaissance de deux photographes qui lui font explorer le
pays. Et c’est là que tout commence.

Inspiré par ce qu’il découvre durant ses escapades, Morissette en tire une série de photos sur l’Afghanistan « post-taliban ». Une quinzaine de ses clichés sont d’ailleurs exposés jusqu’au 6 mars à la microbrasserie montréalaise le Cheval Blanc, un endroit choisi par le cinéaste-photographe pour son côté « sans prétention ». Tant pis s’il faut parfois déranger les buveurs pour admirer les oeuvres de près. Selon lui, elles restent « plus accessibles » que si elles trônaient dans un musée ou une galerie d’art.

Mais les photos ne constituent qu’un point de départ. Au cours de son périple photographique, une idée de film germe dans l’esprit du cinéaste. Caméra à l’épaule, il se met bientôt à suivre les activités de l’employeur de ses deux guides-photographes, Killid Médias, le premier groupe de presse indépendant d’Afghanistan. Killid, qui signifie « La clé » en dari, l’une des langues officielles du pays, constitue un phénomène à lui seul. Le groupe de presse est constitué de deux hebdomadaires publiés dans les deux langues nationales, de deux stations de radio et d’un réseau de distribution d’imprimés.

Comme l’indique sa devise, « Ouvrir la porte à un Afghanistan plus éclairé », l’objectif de l’entreprise médiatique, non partisane, consiste à « permettre au plus grand nombre d’accéder à de l’information et à des ressources qui les aideront à améliorer leur vie de tous les jours ». L’énoncé pourrait paraître banale dans plusieurs endroits du monde, mais pas dans le contexte de l’Afghanistan.

L’exemple le plus probant de la volonté d’informer de Killid est sans contredit la mise sur pied de Mursal, le premier hebdomadaire féminin de l’histoire afghane. Au départ, il s’agissait d’un pari risqué dans un pays où l’UNICEF estimait le taux d’alphabétisation des femmes à un maigre 13 %, en 2004. Mursal mise donc sur les images et les mots simples pour « servir nos mères et nos sœurs qui sont dans des villages éloignés et qui sont privées de la plupart de leurs droits », aux dires de sa rédactrice en chef, Amena Mayar.

Reportages sur le droit de vote, la religion, la santé, l’éducation et même la sexualité... Le magazine, dirigé et rédigé par des femmes, traite de tout ce qui touche l’Afghane moderne. Au risque de provoquer des frictions, autant avec le lectorat qu’au sein même de la rédaction. Apparemment, les femmes afghanes se montrent intéressées par le magazine, puisqu’on estime que chacun des 15 000 exemplaires vendus chaque semaine est consulté par une dizaine de personnes. Peut-être plus.

Grâce au réseau de distribution de Killid, le magazine féminin Mursal est vendu dans les 34 provinces afghanes, tout comme son « grand frère », l’hebdomadaire d’actualités Killid Weekly, qui intègre une section régionale différente dans chacune des éditions. L’ensemble constitue un réseau formidable, qui permet d’accéder à différentes facettes de la réalité du pays. Ce n’est pas une coïncidence si la majeure partie de Chroniques afghanes se déroule sur la banquette arrière d’une camionnette de livraison de magazines. « Killid devient le fil conducteur d’un film qui ne s’intéresse pas tant aux médias qu’aux gens qui y travaillent et qui m’ont fait découvrir leur ville et leur pays », explique Morissette.

Grouillante de vie, bruyante et incertaine, la ville de Kaboul devient elle aussi « un personnage en soi » aux yeux du cinéaste. À un tel point que Chroniques afghanes n’a pratiquement pas de trame musicale, car « le bruit de la ville occupe tout l’espace sonore ». M. Morissette laisse tout de même un peu de place à une narration judicieusement explicative, malheureusement livrée d’un ton quelque peu monotone.

On sort de Chroniques Afghanes en parvenant à mettre des visages sur l’Afghanistan d’aujourd’hui. Celui du responsable de la distribution, Kamal Nassir, qui livre ses idées et ses espoirs à la caméra. Ou celui de Farooq Wurukzai, le morning man de Radio Killid. Sans oublier la journaliste Marzia Monsif et Jawel le camelot, qui tentent eux aussi de mettre des mots sur la reconstruction politique et sociale de l’Afghanistan depuis la chute du régime taliban. Tous ensemble, avec leurs espoirs et leurs incertitudes, ils font de Chroniques afghanes un document incontournable. Mieux, le portrait touchant d’un pays à faire.


Chroniques afghanes - Le documentaire photographique
Au Cheval Blanc
Jusqu’au 6 mars

Chroniques afghanes - Le film
Au Cinéma ONF
Du 4 au 8 mars
À l’émission Zone Libre (SRC), le 6 avril.

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