La privatisation de notre réseau public de santé est bel et bien en progression et elle se fait en dehors de tout débat public. Quelques récents exemples d’intrusion du privé devraient alerter tous les Québécois. Il est minuit moins une : il faut arrêter ce mouvement avant qu’il ne soit trop tard !
Hébergement des personnes âgées : une vente aux enchères !
Le 12 mars, l’Agence de la santé et des services sociaux de la Montérégie a autorisé la signature d’une entente en partenariat public-privé (PPP) avec le Groupe Savoie. Ce dernier va concevoir, construire et financer un centre hospitalier de soins de longue durée (CHSLD) de 200 lits, à Saint-Lambert, en plus d’y assurer les soins et services et d’entretenir les installations pour les 25 prochaines années. En fait, avec ce contrat, l’entreprise hérite de 60 places déjà existantes dans un CHSLD public, auxquelles s’ajouteront 140 autres places. En plus, et contre toute définition des PPP, la compagnie demeurera propriétaire des édifices à la fin du contrat !
Il s’agit du premier d’une longue série de projets semblables, puisque le gouvernement pourrait recourir aux PPP pour la création de 3 000 à 5 000 nouvelles places en CHSLD et pour la privatisation de nombreux foyers existants.
Le contrat signé avec le Groupe Savoie est d’une valeur de 200 millions de dollars. L’Agence aurait reçu une autre proposition, beaucoup plus chère, presque du double en fait, information impossible à confirmer compte tenu du secret caractéristique de l’attribution des contrats en PPP.
Compte tenu de la différence entre les deux soumissions, on peut se demander comment le Groupe Savoie pourra offrir un même niveau de qualité de services et des conditions de travail adéquates. Sans parler des profits que l’entreprise entend évidemment empocher. Pour un projet semblable, le Centre de santé et de services sociaux (CSSS) de Québec-Sud a fait réaliser une étude qui concluait que le mode PPP coûterait 34 % plus cher. Devant l’évidence, ce CSSS a choisi d’y aller en mode public. Pourquoi cela serait-il différent à Saint-Lambert ?
Où le Groupe Savoie entend-il couper pour faire ses frais ? Offrira-t-il des conditions de travail de misère dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre ? Exigera-t-il une contribution plus élevée aux résidents ? Demandera-t-il éventuellement des fonds additionnels de l’État ? Impossible de répondre à ces questions : c’est le secret commercial qui règne, avalisé par l’Agence des PPP. Cette dernière a d’ailleurs mené une étude comparative avec le secteur public, mais elle refuse de rendre publics les résultats. On nous demande un acte de foi totalement aveugle !
Centres universitaires : 10 000 employé-es dans le noir
Le gouvernement vient de lancer l’appel de propositions pour un PPP au CHUM. Encore là, l’opacité du projet donne froid dans le dos. Si au CUSM la direction fait preuve d’une volonté de transparence auprès des syndicats, ce n’est pas le cas au CHUM. Malgré nos demandes d’accès à l’information, il est impossible de savoir quels services seront assurés pendant des décennies par le secteur privé. Cela est très préoccupant.
Les services « auxiliaires » tels que les cuisines ou l’entretien sont névralgiques et ils doivent être considérés comme partie intégrante de la mission d’un hôpital. Les syndicats ont proposé de mettre sur pied un groupe de travail pour soutenir le développement et améliorer les services, et ce, dans le réseau public. Pourquoi ne donnerait-on pas les moyens au secteur public d’innover lui aussi, et de proposer des solutions d’avenir ?
On ne peut pas prévoir dans un contrat, si volumineux soit-il, quels seront les besoins à combler dans 25 ans, moment où le public devrait redevenir propriétaire du CHUM. Beaucoup d’États ont déjà tenté la formule PPP pour leurs hôpitaux et elle s’est avérée désastreuse pour les contribuables. Le gouvernement québécois reste persuadé qu’il réussira là où d’autres, comme l’Ontario ou la Grande-Bretagne, se sont cassés les dents. Quels sont les objectifs réels du gouvernement ? On l’a bien vu dans l’affaire Couillard, le lobby du privé en santé a déjà ses entrées dans le gouvernement Charest.
Soyons aux aguets
Ce ne sont que quelques exemples des nombreuses brèches inquiétantes qui apparaissent un peu partout. En ouvrant la porte au privé comme on le fait actuellement, on affaiblit en même temps le réseau public. On l’affame financièrement, on encourage le transfert de l’expertise vers le privé, et l’État abdique sa responsabilité de garantir l’universalité, l’accessibilité et la qualité des services ainsi que des conditions de travail décentes.
Nos services de santé publics constituent pourtant un investissement des plus rentables ! Les Québécois paient beaucoup moins pour leurs soins de santé que les citoyens de pays où le privé est plus présent. Les services publics sont aussi une « infrastructure » dans laquelle il faut investir pour qu’ils soient efficaces et qu’ils s’améliorent. En pleine période de débâcle économique, compter sur des services publics gratuits permet à ceux et celles qui perdent leur emploi d’éviter de s’endetter encore plus pour pouvoir instruire leurs enfants et vivre en santé. C’est un des principaux atouts de notre société. Un atout autant social qu’économique. Ne nous leurrons pas, si le privé met la main sur nos services publics, ce sera à son bénéfice, pas au nôtre !