Le taux de participation aurait atteint 95,59 % et le « Oui », symbolisé par un bulletin de couleur blanche, l’a emporté avec un chiffre d’un autre temps (99,52 %). Ainsi, sur les 3,5 millions de votants, la Tunisie compte très exactement 16 642 « ingrats » qui ont osé glisser, dans l’urne, le bulletin noir (!) du « Non ».
Sibyllines et creuses
Le discours officiel tunisien explique que cette écrasante majorité est le résultat logique d’une « adhésion massive et unanime du peuple autour de son président ».
Mais, l’explication des chiffres officiels (au demeurant impossibles à vérifier) est à chercher ailleurs que dans ces paroles aussi sibyllines que creuses. La version idyllique, entretenue par des médias audiovisuels et écrits entièrement assujettis au pouvoir en place, est loin d’être crédible.
Constamment harcelés, malmenés, interdits d’expression et épisodiquement emprisonnés (lire Alternatives de décembre 2001), les opposants tunisiens peinent à faire entendre leur voix à une population peu politisée et très bien quadrillée.
En effet, le parti au pouvoir depuis l’indépendance revendique 2 millions d’adhérents (sur une population de 10 millions !) et le nombre de policiers - chargés d’épier les faits et gestes d’une population soumise à un vide politique et culturel sans précédent, avoisine les 130 000.
Ainsi, les Tunisiens ont eu droit à une campagne référendaire « explicative » où le parti au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique, ainsi que quatre minuscules formations de l’opposition autorisée ont fait campagne pour le « Oui ».
Formules magiques
Se cachant derrières les formules magiques de « république de demain » et de « nette avancée de la démocratie et des droits de l’Homme », les médias ont soigneusement évité de préciser les détails de cette « réforme » constitutionnelle.
Ainsi, l’amendement des articles 39 et 40 de la Constitution qui autorise désormais le président sortant à briguer deux autres mandats présidentiels quinquennaux (alors que son ultime mandat devait prendre fin en 2004), n’a suscité aucun débat.
Aucun débat non plus sur l’article 41 qui donne au chef de l’État une immunité judiciaire à vie unique au monde : « Le président de la République bénéficie d’une immunité judiciaire durant l’exercice de ses fonctions (Sic), [...et] après la fin de l’exercice de ses fonctions, pour tous les actes accomplis à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. »
D’autres amendements qui renforcent le caractère « présidentialiste » du régime en rendant chimérique toute idée de séparation des pouvoirs, ont été décriés par une opposition généralement illégale, qui a appelé au boycott de ce qu’elle qualifie de « simulacre ».
La vice-présidente de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme, Souheïr Belhassen, n’a pas hésité à qualifier les résultats d’indécents « car, même dans les régimes dictatoriaux les plus fous, on n’oserait pas annoncer de tels chiffres ! ».(Reuters)
Ces derniers jours, l’opposition non officielle, constituée par une dizaine d’associations et de partis politiques, a multiplié les rencontres et les prises de position pour dénoncer le référendum.
Vice de forme
Même s’il a très peu de chances d’aboutir, un recours pour vice de forme visant à annuler les résultats du référendum a d’ores et déjà été déposé devant le Tribunal administratif. De nombreux opposants contestent la légalité du référendum soutenant que c’était à la loi (donc à la Chambre des députés) et non à un décret présidentiel d’en fixer les modalités.
Au ministre de l’Intérieur qui se félicite des résultats du référendum qui ont « montré le haut niveau de maturité politique atteint par le peuple tunisien », l’opposant Sadri Khiari répond en déclarant à Alternatives : « [ Ben Ali] devrait organiser très rapidement des élections présidentielles sans attendre 2004, car j’ai le pressentiment que s’il patiente jusque-là le peuple tunisien va reprendre la parole. »