
Ce film prend le parti de conjuguer divers espaces-temps. Montréal et Aligarh
en Inde : le passé ouvrier du quartier Hochelaga-Maisonneuve et sa réalité
d’aujourd’hui, sans-emploi et désaffectée, le passé de militants marxistes - désillusionnés ou continuant le combat - qui tentent de trouver leur place
et le « bon discours » pour affronter la réalité contemporaine. À ces images
et témoignages de militants montréalais, s’ajoute la lutte pour les droits des
chauffeurs de rickshaws, ces vélos-taxis indiens, menée à l’époque par le
beau-frère de Feroz Mehdi, I.G. Khan, mort assassiné.
Au fil des images, où s’entremêlent l’essai, l’enquête et le témoignage, on
croisera Mme Lee, d’origine chinoise, propriétaire d’un dépanneur, Stéphanie,
mère monoparentale et chanteuse de karaoke qui rêve de gloire, Momo le
« roi de la saucisse », ancien membre du PCO, Donald, professeur dans une
université aux États-Unis, autrefois membre d’En Lutte, Normand, militant
communautaire, Félix le fi ls du cinéaste et « enfant » du bas de la côte, ainsi
qu’une foule d’anonymes. Visages trop communs d’une pauvreté « qui ne dit
pas son nom ».
Au coeur de cette ronde, se trouve le réalisateur militant, Feroz Mehdi, à la
fois narrateur, acteur, catalyseur et « livreur » (au double sens du terme), par
qui et à travers qui le fi lm « passe », qui en est le centre de gravité et le point
d’équilibre mouvant. C’est à travers lui, son corps, sa voix, ses doutes, son
parcours que nous est présenté Un quartier à livrer. Parcours dans la ville sur
son triporteur de dépanneur, entre deux réalités, celle de la pauvreté en Inde
et de la pauvreté à Montréal. Parcours d’un militant, à la fois ici et là-bas.
Entrepris il y a trois ans, ce fi lm produit par Yves Bisaillon de l’ONF, est autant
un documentaire sur l’histoire et la réalité de la pauvreté à Montréal et en
Inde, qu’un documentaire d’une grande franchise sur son propre tournage et
la démarche menée par son auteur : rencontres impromptues entre amis et
apparition à l’écran de l’équipe de tournage, travail autocritique du cinéaste.
Tout en faisant un fi lm sur la pauvreté, le voilà pourtant au cours même
du tournage qu’il « monte » la côte pour venir s’installer sur le Plateau. Se
faisant, trahit-il « la cause » ? C’est ce que lui avait reproché I.G. Khan, son
beau-frère, lorsqu’il avait quitté l’Inde pour venir s’établir à Montréal.
La force de ce fi lm se trouve dans son extraordinaire humilité : humilité de ne
rien trancher, de maintenir en tension des discours parfois contradictoires, de
ne pas escamoter la place de celui qui fi lme, et qui tente d’épouser la vie et la
démarche de ce dernier, qui a pris la pari de continuer à se battre, où qu’il soit,
et de se poser des questions... qui nous reviennent à tous, pour finir.