Citizen Lab, un centre de recherche informatique de l’Université de Toronto soucieux des droits humains, a mis au point un logiciel gratuit qui permet à tout citoyen éveillé de tendre une main virtuelle aux internautes des pays étrangers qui ne peuvent avoir un accès libre à Internet. Le logiciel Psiphon permet à presque n’importe quel Canadien de combattre la censure dans le confort de son foyer à l’aide d’un simple ordinateur et d’une connexion Internet. Cet ingénieux logiciel s’est mérité en avril le grand prix Netexplorateur accordé à la plus importante innovation de l’année sur le Web.
Ce logiciel permet de contourner la « Grande muraille », le pare-feu mis en place par les autorités chinoises. Avec l’aide technique d’entreprises occidentales, la Chine a mis sur pied un impressionnant système de surveillance des télécommunications. Selon certaines sources, l’agence gouvernementale chinoise chargée de cette guerre de l’information reçoit 28 milliards de dollars par année, le double du budget de l’armée canadienne, et emploie plus de 30 000 fonctionnaires.
Alors que certains pays comme Cuba ont préféré bloquer totalement l’accès à Internet pour ensuite n’autoriser que quelques sites triés sur le volet, Pékin a opté pour l’illusion de la transparence. Les Chinois peuvent accéder à tous les sites sauf ceux qui ont été censurés, en totalité ou en partie, par l’armée de fonctionnaires qui écument Internet à la recherche d’informations subversives. Par exemple, les sites de la BBC, de Radio-Canada et de Wikipédia, de même que tous ceux qui touchent la révolte des Tibétains et des Ouïghours sont hors d’atteinte des Chinois.
Creuser un tunnel sous la Grande muraille
Michael Hull, le cerveau qui s’est tordu les méninges pour rendre Psiphon simple d’utilisation, explique que son logiciel permet à n’importe quel ordinateur de devenir un serveur-proxy pour les internautes chinois. Grâce à ce logiciel, un simple ordinateur connecté au Web devient un point d’accès Internet pour les utilisateurs de pays censurés qui visitent ainsi les sites qui leur plaisent sans se faire bloquer. Par le biais de la connexion du bon samaritain, le dissident ou le simple citoyen en quête d’information peut naviguer librement comme s’il était physiquement au Canada. Psiphon a été téléchargé plus de 100 000 fois et on compte présentement plus de 1500 serveurs-proxy actifs dans ce réseau.
Pour échapper au regard du Big Brother chinois, l’internaute a besoin de l’adresse Internet de l’ordinateur équipé de Psiphon, d’un nom d’utilisateur et d’un mot de passe. En théorie, ce logiciel a été conçu pour créer des réseaux restreints basés sur des liens de confiance entre les utilisateurs. Toutefois, si vous ne connaissez personne qui habite dans un pays où Internet est censuré, vous pouvez afficher vos services de justicier du Web sur des forums de discussion comme celui de Citizen Lab http://psiphon.civisec.org/forum/.
Si vous avez votre propre site Internet et que vous voulez pousser encore plus loin l’aventure et jouer les David contre le Goliath chinois, ou contre tout autre des 26 pays qui censurent Internet, vous pouvez publier sur votre site des fragments de textes censurés dans leurs pays d’origine. Le site irrepressible.info d’Amnistie internationale propose une application Web qui publie automatiquement ces extraits sur votre site.
Le grand bond en arrière
L’attribution des Jeux à Pékin devait en théorie forcer la Chine à s’ouvrir en la soumettant aux feux de l’attention internationale. Or, la répression a augmenté à l’approche des olympiades. Hu Jia, un défenseur des droits de la personne, est devenu l’emblème de la crispation du régime. Il a été condamné en avril à trois ans et demi de prison pour avoir critiqué le gouvernement sur Internet et accordé des interviews à la presse étrangère. En mars, Yang Chulin, un ouvrier de 52 ans, a été condamné à cinq ans de prison pour avoir diffusé sur la toile une pétition qui disait : « Nous voulons des droits de l’homme, pas les JO. »
La fondation Dui Hua rapporte que les arrestations politiques ont doublé depuis 2006. Les données du gouvernement chinois indiquent qu’elles ont atteint un niveau record depuis 1999 : 742 personnes ont officiellement été arrêtées en 2007 pour « subversion du pouvoir de l’État ». Une accusation parapluie qui a remplacé la bonne vieille « incitation à la contre-révolution » et qui sert principalement à supprimer la dissidence politique et les revendications au nom des intérêts supérieurs de l’État. Selon le rapport annuel du procureur suprême du peuple, 2404 individus ont été arrêtés et détenus entre 2003 et 2007 pour des cas de « subversion du pouvoir de l’État ». Évidemment, les passages à tabac par des policiers en civil et autres formes d’intimidation ne font pas partie de ces statistiques.
Ce n’est pas un hasard si le gouvernement chinois consacre autant d’énergie au contrôle de l’information. Malgré la répression, selon les données officielles, le pays a été secoué par 87 000 émeutes en 2005 ! Le malaise dépasse les révoltes « ethniques » des Tibétains et des Ouïghours et touche l’ensemble de la société chinoise. En dépit de l’interdiction des syndicats, de violentes grèves éclatent dans des villes industrielles, des citadins manifestent contre les expropriations injustes et arbitraires et les 700 millions de campagnards, les laissés pour compte du rêve chinois, sont frappés de plein fouet par l’inflation et la hausse des coûts faramineuse des denrées alimentaires.
Bien qu’il soit facile de contrôler le contenu de la presse et des bulletins de télé — les médias chinois ont passé sous silence le coup d’éclat de Reporters sans frontières lors de l’allumage de la flamme olympique —, il est beaucoup plus difficile de contenir Internet.
Les gouvernements occidentaux font d’ailleurs preuve d’hypocrisie lorsqu’ils dénoncent la situation, puisque des entreprises étrangères participent au perfectionnement du formidable appareil répressif chinois. Yahoo est accusé par Amnesty International d’avoir fourni des informations confidentielles sur ses utilisateurs aux bonzes de Pékin. Ces informations auraient mené à l’arrestation d’au moins deux journalistes. Microsoft de son côté a fermé un blogue à la demande du régime et Google a lancé une version chinoise censurée de son moteur de recherche.
Malgré toute cette surveillance, des blogues anonymes diffusent les milliers d’histoires de citoyens victimes d’injustices et de corruption. Même s’ils sont finalement trouvés et censurés, ils sont commentés sur des centaines d’autres forums de discussions. Peu à peu, la société civile et l’opinion publique chinoise se renforcent. Grâce à des logiciels comme Psiphon, les citoyens de partout y contribuent.