Préfacé par Jean-Paul Sartre, Portrait du colonisé (1957), d’Albert Memmi, alimenta l’argumentaire souverainiste du Québec. L’essai dénonçait la colonisation française au Maghreb, mais les Québécois s’y reconnurent. Une cinquantaine d’années et presque autant de livres plus tard, l’homme de lettres publie toujours, ce qui n’est pas négligeable à 85 ans,mais qui plus est, ce sont des histoires d’amours qu’il nous livre ici. La lucidité du regard qu’il pose sur les relations homme-femme transcende les âges et les nations.

Les anciens du lycée Carnot se réunissent annuellement. Attablés, ils racontent des histoires vécues qui prennent la forme de nouvelles : « Le thème de cette année-là portait sur nos relations avec nos compagnes. » Monsieur veut déshabiller madame... Le refrain habituel, quoi. Que peut-on ajouter à ce thème que la littérature française surexploite depuis plus de trois siècles ? Résignation lucide et acceptation de la nature humaine, voilà ce qui caractérise les idylles plus ou moins tragiques de ce recueil. Un couple de vieillards voient leurs facultés diminuées, une jeune bourgeoise se mésallie avec un Kurde, une féministe soixante-huitarde n’arrive pas à concilier amour et émancipation, un vieux peintre trompe sa femme avec une jeune critique, une jeune femme se suicide après une histoire d’amour idiote...
Que l’amour s’émousse ou que la jalousie puisse détruire un couple, ce sont des lieux communs que Memmi n’a pas besoin de déterrer. Son regard embrassant tous les points de vues, il se garde bien de tout jugement. Il laisse évoluer ses personnages sans altérer leurs voix, sans effusion. Quant à lui, mine de rien, il glisse sa conclusion dès les premières pages : « Le fin mot est que, si nous ne savons pas tout à fait vivre avec elles, nous ne pouvons vivre sans elles. »