TaxCOOP 2020 : Viser le centre

mercredi 21 octobre 2020, par Claude Vaillancourt

La tenue du Sommet mondial de la fiscalité, organisé par TaxCOOP la semaine du 13 octobre, devait relever deux importants défis. D’abord réaliser un événement entièrement en mode virtuel, une contrainte imposée par un confinement généralisé. Puis défendre une fiscalité plus équitable, forcément à la hausse pour les individus les plus riches et les grandes entreprises. Pour y arriver, le sommet a profité d’une organisation admirable d’efficacité, en dépit de quelques pépins survenus inévitablement en cours de route.

Dans son film Rapide et dangereuse, une course vers l’abîme, présenté pendant l’événement, Brigitte Alepin a bien placé le principal enjeu : comment convaincre les grands décideurs de revaloriser la fiscalité, alors que depuis les années 1980, les baisses d’impôts ont été considérées comme indispensables, parmi les moteurs de la croissance économique ? La conjoncture nous montre aujourd’hui à quel point ce choix a été dévastateur.

Plusieurs intervenant·es pendant le Sommet l’ont répété : les inégalités sociales, conséquentes de ces mesures, ont atteint un niveau dramatique. La transition écologique, que nous devons obligatoirement entreprendre pour combattre le réchauffement climatique, nécessitera des investissements majeurs de la part des États. L’actuelle pandémie provoque déjà un déficit considérable dans tous les pays. Ceux-ci auront par la suite un grand besoin de consolider leurs finances publiques.

La solution à tous ces problèmes passe par une meilleure répartition de la richesse et par d’importantes injections de fonds dans les services publics et dans l’économie. Or les élites financières et politiques restent encore hésitantes à prendre des mesures nécessaires, quand elles n’y sont pas carrément rébarbatives. La stratégie latente pendant ce Sommet était de ramener vers le centre des idées défendues depuis de nombreuses années par la gauche et par le mouvement social en matière de fiscalité, afin de les rendre plus acceptables pour les décideurs.

Si la diversité des intervenant·es était remarquable, la préférence pour les personnes en provenance de grandes institutions internationales, gens d’affaires, politicien·nes de droite un peu plus progressistes que leurs semblables, professeur·es d’université bien établi·es était bien réelle. Il fallait y voir un pari très clair : les pressions exercées par les personnes bien installées dans les cercles du pouvoir pourraient avoir un impact significatif sur les décisions à venir.

Cette tactique, à condition qu’elle soit jointe à d’autres, est tout à fait respectable. Mais on peut toutefois s’interroger sur certain·es invité·es dont les actions viennent contredire les propos et remettent en cause leur bonne volonté. Dans quelle mesure avons-nous entendu de réelles intentions, et non pas des déclarations de façade ? Le cas le plus inquiétant est celui de Bruno Lemaire, ministre des finances en France, qui s’est posé en héros de la fiscalité par sa taxe sur les GAFAM. 

Cet homme appartient cependant à un gouvernement qui a supprimé l’impôt sur la fortune et qui a imposé une taxe sur le carbone tellement mal conçue qu’elle a provoqué le soulèvement des gilets jaunes et discrédité le principe même de ce type de mesure. Même sa taxe sur les géants du numérique pose des problèmes : le montant de 350 millions d’euros qu’elle a rapporté la première année de son implantation (la taxe est reportée pour l’année en cours) demeure très peu comparé à la part qui échappe à l’impôt par l’évitement fiscal.

Malgré la forte présence de ces nombreuses personnes très riches, la voix des pays du Sud a tout de même été entendue. Il le fallait puisque leurs populations demeurent les principales victimes de l’injustice fiscale et du réchauffement climatique, ce que leurs représentants n’ont pas manqué de souligner à plusieurs reprises.

Parmi les propositions émises, celles d’imposer les sociétés qui n’ont pas d’implantation physique dans un pays et de soumettre les entreprises multinationales à niveau minimum d’imposition, toutes deux amenées par l’OCDE, semblent prometteuses. Reste à savoir si les pays membres et ceux qui les appuient auront le courage de les mettre en place. L’action multilatérale est essentielle pour établir une fiscalité équitable à une échelle internationale. Mais l’action unilatérale des États peut aussi être efficace, lorsqu’elle devient un exemple pour les autres pays et provoque un effet d’entrainement.

L’expérience pour les participant·es de passer plusieurs jours devant leur écran d’ordinateur, à subir d’inévitables pépins techniques, a parfois été éprouvante et rappelle à quel point les rapports humains bien réels demeurent précieux et sont essentiels pour renforcer les liens. Il faut cependant surtout souligner la qualité d’un événement mené au quart de tour et pensé avec précision dans ses moindres détails.

Le mot peut-être le plus mémorable du Sommet a été formulé par Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, dans le film de Brigitte Alepin. Lorsqu’on lui a demandé s’il y avait un plan B si on ne parvenait pas à un accord significatif entre les pays en matière de fiscalité, il a répondu : « On a un plan C pour Chaos ». Cette phrase est à la mesure des enjeux qui nous attendent en ce domaine. Souhaitons que ce Sommet organisé par TaxCOOP ait contribué à nous éloigner le plus possible de cet inquiétant plan C.

Photo : Peiwen Hen sur Unsplash

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