Soyez créatifs ! Ne payez plus

jeudi 28 novembre 2002, par Ingrid HEIN

Imaginez si vous pouviez payer votre coiffeur ou votre menuisier en temps. Une heure de gardiennage pour une heure de conseils juridiques, par exemple. Cela vous semble utopique ? Pourtant, c’est maintenant de plus en plus possible à travers les Systèmes d’échange local (SEL), un système de troc qui utilise le temps plutôt que l’argent.

À Montréal, on retrouve plus d’une douzaine d’organisations de ce genre, et beaucoup plus encore dans le reste du Canada. En plus des avantages monétaires, les SEL aident à construire une nouvelle façon de percevoir les relations socio-économiques, puisque le travail manuel a ici la même valeur que les services professionnels, le temps et non les dollars étant l’aune à laquelle l’un et l’autre sont mesurés.

Traditionnellement, le problème avec le troc, c’est que les échanges ne sont pas toujours possibles entre deux personnes. Le boulanger n’a pas besoin de faire repeindre sa maison, mais aimerait bien un peu d’aide avec son système informatique. Toutefois, le technicien informatique lui, n’a besoin ni de peinture ni de pain, mais d’un plombier pour réparer un tuyau qui fuit dans sa salle de bain.

Or, les SEL permettent maintenant à chaque membre de la communauté d’échanger biens et services avec n’importe lequel des autres adhérents, sans obligation de redevance directe. Les échanges sont tout simplement crédités ou débités selon que vous recevez ou donnez, peu importe de qui ou à qui. De plus, que vous soyez un plombier ou un psychiatre, ce qui est comptabilisé, c’est le nombre total des heures de service consenties. L’argent n’entre en jeu que lorsque certains outils ou matériaux sont nécessaires à la réalisation d’un ouvrage : de la peinture par exemple, pour repeindre une maison.

Charles Jutknecht est membre d’un SEL à Montréal, la Banque d’échanges communautaires de services (BECS). Il a récemment créé une base de données de plus d’une centaine de titres de films sur vidéocassettes pour un autre membre. Quelques mois plus tard, il a à son tour bénéficier du système, en faisant réparer tous ses vêtements. « C’est un très bon système qui rend service à tout le monde. Ça ne remplace pas l’économie, mais ça la stimule cependant. Plusieurs des échanges concernent en bout de ligne des choses dont on se serait passé autrement : comme de faire réparer mes vêtements », affirme Charles Jutknecht. Celui-ci est membre de la BECS depuis environ trois ans. Il a effectué quelque 10 échanges comptabilisés sur la base du temps. Ce qui lui fait dire : « Quand on n’a pas beaucoup d’argent, c’est une très bonne façon d’obtenir ce dont on a besoin. »

Ailleurs au Canada

Ce type d’organisation a débuté à Vancouver en 1984 à l’initiative de Michael Linton, alors que d’autres systèmes du même genre se développaient à travers le monde, là où un certain besoin d’une économie alternative se faisait sentir. Aujourd’hui, on compte plusieurs milliers de SEL mondialement : au Japon, en Australie, aux États-Unis, en Afrique du Sud... Il y a des SEL dans presque toutes les provinces canadiennes, et leur memberships ne cesse de croître.

À Victoria en Colombie-Britannique, le groupe VicLETS (SEL, en anglais, est LETS, soit Local Exchange Trading System) utilise sa propre monnaie, appelé les Green Dollars (Dollars verts). Avec quelque 115 membres, le groupe a dépensé près de 12 000 Green Dollars en échange au cours des deux dernières années. « Le troc peut être la solution pour plusieurs, vis-à-vis d’une situation économique pas très reluisante. Chaque jour que je me rends au travail, je suis confronté à la pauvreté, l’inéquité, la dégradation de l’environnement et l’injustice qui sont inévitablement reliés à notre façon de consommer, très capitaliste », affirme Kieth Moen, l’administrateur de VicLETS.

« Notre modèle économique globalisateur, poursuit-il, est extrêmement immature et bénéficie plus souvent qu’autrement aux mieux nantis. Si nous reprenons le contrôle sur notre argent, nous pouvons résister aux maux de la globalisation qui s’insinuent à travers nos échanges communautaires. »

En Alberta, le système des Calgary Dollars (C$) prend fermement de l’ampleur, avec un énorme succès dans certains endroits. 25 000 C$ ont circulé en tout au cours des six dernières années, et près de 700 services figurent sur la liste de ce que vous pouvez vous procurer avec ces Calgary Dollars. Depuis le gardiennage d’enfant, aux leçons de flûte, en passant par la traduction et la physiothérapie, ou encore les services d’un charpentier, d’un plombier ou d’un débosseleur. Le coordinateur de l’initiative, Gerald Wheatley, affirme même qu’« il y a cinq maisons à appartements qui acceptent les Calgary Dollars pour le paiement d’une partie des loyers, la municipalité les accepte également pour le règlement d’un certain nombre de billets d’autobus ou donnant accès aux centres récréatifs, tout en en faisant la promotion auprès des personnes âgées. »

Mode de survie

Pratiquement, c’est en Argentine que les avantages que peuvent offrir les SEL, sont le plus visibles. La crise économique argentine a conduit à une plus grande dépendance envers ce type d’organisation. Appelés Trueque Clubs (clubs de troc ou d’échange), ces groupes ont presque remplacé le système national basé sur l’argent. Avec les importantes limites des retraits banquaires imposées par le gouvernement, dans le but de redresser le système financier, le troc est le seul moyen de survivre. Turmel affirme que les SEL en Argentine ont grossi de façon exponentielle, et sont un bon exemple du fonctionnement de ce type d’organisation : « En Argentine, lors de la dernière estimation, on a évalué qu’il y avait 8 millions de membres. C’est ça ou crève. »

Les SEL ne remplaceront sans doute jamais le système économique officiel. Mais ils peuvent certainement devenir un système parallèle très populaire. À tout le moins, ça permet aux gens de se rencontrer, et donner et recevoir devient un peu plus amusant.


Ingrid Hein, stagiaire du programme de médias alternatifs d’Alternatives.

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