En parcourant la presse israélienne et internationale, on a l’impression que l’hémorragie cérébrale qui a affecté Ariel Sharon aurait eu le même effet, ou presque, que les deux balles tirées par un jeune juif extrémiste ayant coûté la vie à Yitshak Rabin il y a dix ans : la fin d’un processus de paix. L’assassinat de Rabin avait mis un terme au processus d’Oslo, tout comme l’accident cérébral de Sharon mettrait fin à l’engagement du premier ministre envers une paix israélo-palestinienne - un engagement entamé avec le retrait de l’armée israélienne de la bande de Gaza et le démantèlement de quelques douzaines de petites colonies.
Bien au contraire. Quand on lit les nombreux discours et les entrevues données par Sharon aux médias au cours des trente-cinq dernières années, spécialement depuis qu’il est devenu premier ministre en 2001, on y retrouve une vision politique extrêmement constante et cohérente, rejetant explicitement la possibilité même d’une paix entre Israël et les Arabes. En fait, Sharon est le premier dirigeant israélien depuis David Ben Gourion qui peut être résumé en quatre points :
– La guerre de 1948 n’est pas encore terminée et les frontières finales d’Israël ne devraient pas être fixées ;
– La priorité d’Israël est de créer une continuité juive de la mer Méditerranée à la rivière du Jourdain, de bout en bout ;
– Afin de préserver démographiquement la nature juive d’Israël, les Palestiniens doivent être exclus de cet État, soit par expulsion (« la Jordanie est l’État palestinien »), ou encore en les enclavant dans des réserves (townships) qui, s’ils le veulent, peuvent être désignées d’« État palestinien » ;
– En l’absence d’interlocuteur, puisque aucun Arabe ne fera la paix avec Israël, la création de l’État palestinien et la définition de ses frontières et de ses droits ne pourront qu’être décidées unilatéralement par le gouvernement israélien.
Le « retrait unilatéral de la bande de Gaza » devait être la première étape d’un projet stratégique à long terme. Après les élections, Sharon voulait entreprendre de nouvelles initiatives unilatérales : l’établissement de nouvelles colonies, tout en se retirant de certaines localités palestiniennes.
Sharon avait en effet un plan global, mais qui ne peut définitivement pas être étiqueté de plan de paix. Ce devait être une initiative israélienne, imposée unilatéralement au peuple palestinien. Avec la fin de l’ère Sharon, on peut légitimement se demander si ce plan demeurera le cadre de référence de la stratégie israélienne.
La disparition politique de Sharon représente néanmoins un énorme bouleversement. Monopolisant la scène politique des dernières années, Sharon a été le seul dirigeant en mesure de quitter sa formation, le Likoud, et d’établir en quelques semaines un nouveau parti (Kadima) dont on prévoyait qu’il allait recevoir plus de votes que le Likoud et le Parti travailliste rassemblés. Pour une majorité d’Israéliens, Sharon était l’homme personnifiant le nouveau consensus basé sur la sécurité et ce qu’ils considèrent être des « initiatives unilatérales de paix ». Le problème de Kadima réside dans le fait qu’il s’agit d’un parti d’un seul homme, une structure devant donner à Sharon, et à lui seulement, les moyens d’exécuter ses politiques. Kadima n’a aucun programme et sans Sharon, il ne reste qu’un groupe de déserteurs de chacun des partis politiques israélien, de l’extrême-droite à la gauche sioniste.
Les prochaines élections doivent avoir lieu en mars, et les dirigeants de Kadima n’ont que peu de temps pour définir leurs positions politiques et se doter d’une direction capable de convaincre les électeurs qu’ils ont les capacités d’accomplir les objectifs de Sharon, sans lui. La scène politique israélienne se retrouve ainsi dans une situation sans précédent, et personne n’ose prédire la situation au lendemain des élections.
Les Palestiniens doivent-ils se réjouir d’un tel fouillis ? Pas nécessairement. Comme un porte-parole palestinien le mentionnait récemment, « chaque gouvernement israélien tente de se procurer une crédibilité sur le dos des Palestiniens ».