J’aimerais contribuer à la réflexion que la sexologue Jocelyne Robert et d’autres féministes ont lancée ces derniers mois autour de l’hyper-érotisation de l’image des femmes, de la sexualisation précoce des gamines, planifiée par nos ayatollahs à nous, les bonzes et bonzesses de l’industrie de la mode, de la culture pop et des médias féminins. On m’a raconté qu’il y a des mères qui disent à leur fille de 14 ans : « Si tu n’aimes pas tes seins, on les fera refaire pour tes 16 ans ! » Dites-moi, pourquoi la chirurgie plastique est-elle au centre de toutes nos discussions, que nous ayons 13 ou 60 ans, généralement pour en rêver ?
Nous avons une lourde part de responsabilité là-dedans, nous qui avons 35-45-55 ans, qui avons profité du mouvement des femmes et qui avons aussi souffert du backlash des années 1990. Fatiguées d’être traitées à répétition d’extrémistes, de profiteuses-qui-haïssent-les-hommes-et-qui-ont-tout-obtenu, aurions-nous viré capot d’écœurement ? Aurions-nous pris individuellement le parti de plaire et de baisser le ton ?
Avons-nous peur des conflits avec les plus jeunes, toutes celles qui refusent d’hériter de l’image de chiâleuse et de revencharde que les détracteurs du féminisme ont imposée ? Sinon, pourquoi avons-nous attendu si longtemps avant de déconstruire systématiquement le discours des masculinistes ? Avant de décrier la complaisance des médias face à leurs accusations imbéciles, comme si nous étions responsables de la baisse de la natalité, du suicide des hommes, du décrochage des garçons, de la garde non partagée de nos enfants ?
Honnêtement, je crois que nous nous sommes trop tues devant le retour en force de la girlie fatale, devant la profusion de femmes renflouées, siliconées et botoxées, qui partout distillent des propos amusants et inoffensifs. Bref, des femmes peut-être plus reposantes mais obsédées par leur corps.
Par peur de la solitude et du rejet ? Par ce foutu manque de confiance en nous, par horreur de la vieillesse ? Aurions-nous pris le parti d’accepter ce que le mouvement des femmes a tellement combattu : être d’abord définies par le regard de l’autre ?
Pourquoi avons-nous abdiqué devant nos filles accoutrées comme des prostituées ? Pourquoi avons-nous si bêtement encaissé que si nous étions plus sexy, désirables 24 heures sur 24, nous allions les avoir, c’est-à-dire les enjôler suffisamment (girl power ?!? quel power ?) pour faire avancer nos désirs de changement ?
C’est qu’il faut être cool n’est-ce pas ? Vivre et laisser vivre, consommer dans la plénitude de notre petit moi, girouette et centre de l’univers ? S’intéresser aux recettes intellectuelles soft et s’amuser des modes sexuelles hard ? Il n’est plus de mise d’avoir un discours moral (ouache !!), de dire : c’est débile, c’est pervers, c’est grossier, c’est malsain. Il faut rigoler de tout, n’est-ce pas ? Et pourtant, ce n’est pas drôle. On recule.
Qu’avons-nous cru gagner et qu’avons-nous perdu en faisant du culte de l’apparence notre nouvelle arme de séduction massive ? L’heure n’est plus à pavoiser sur les acquis du féminisme, qui s’effritent. L’heure est à parler aux plus jeunes, dans les écoles et les cégeps, pour leur raconter la petite histoire de nos grandes batailles (avortement, autonomie, exploitation sexuelle), le courage qu’il faut pour se mêler des débats et la joie immense, quand on réussit à changer les choses. Et ça presse.