Entre guerre et élections,

Que devient le libre-échange ?

jeudi 27 mars 2003, par Luc-Etienne ROUILLARD LAFOND, Marie-Paule BERTHIAUME

À l’approche des élections provinciales, le débat sur la mondialisation et l’intégration économique n’a pas lieu, la guerre en Irak occupant toute la place sur la scène internationale. L’heure juste sur la position des différents partis politiques vis-à-vis le libre-échange.

Selon l’échéancier des négociations prévues, la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA) devrait entrer en vigueur en 2005. Au Québec comme ailleurs, les opinions sont divisées et les partis politiques n’osent pas trop se prononcer. D’un côté comme de l’autre, beaucoup d’hésitations.

Chez les péquistes, le mot d’ordre est le suivant : « Oui, mais... » Les dirigeants du Parti Québécois (PQ) considèrent que la ZLÉA peut représenter une opportunité économique intéressante pour le Québec. « La libre circulation des biens, des services et des personnes attire les investisseurs, créant des emplois chez nous », peut-on lire dans un fascicule publié par le PQ. Le grand nombre d’emplois en lien avec les exportations québécoises explique aussi en bonne partie l’inclination du parti souverainiste pour le libre-échange. Convaincu que la ZLÉA comporte des avantages économiques, le Parti Québécois croit cependant que « la libre circulation peut aussi avoir des effets inattendus, parfois pervers » sur la diversité culturelle et linguistique, les droits des travailleurs, la démocratie et l’environnement.

Pour Christian DeBlock, professeur au département de science politique et de droit de l’UQAM, cette position des péquistes - l’appui conditionnel à la ZLÉA - n’a rien de surprenant. Il rappelle la tradition économique péquiste qui consiste à favoriser le libre-échange dans le cadre d’une économie sociale-démocrate. Il croit, de plus, que les manifestations d’avril 2001, lors du Sommet des Amériques à Québec, auraient pu influencer le parti de Bernard Landry dans son léger recul. Pour sa part, Pierre Fortin, professeur au département de sciences économiques de l’UQAM, rappelle que Bernard Landry était le grand défenseur du libre-échange au Québec, du temps de René Lévesque. Les péquistes prévoient cependant une consultation populaire sur la question de la ZLÉA, advenant un troisième mandat.
Du côté libéral, la ZLÉA est perçue d’un bon œil, même si cet accord rend compte du défi que représente l’intégration économique et culturelle québécoise dans le grand marché des Amériques. Les libéraux voient dans ce marché un « attrait économique sans précédent » pouvant avoir une incidence directe sur le développement du Québec. Dans le site Internet du Parti Libéral du Québec (PLQ), on peut lire : « L’Amérique est une immense locomotive de développement [...] dont nous retirons d’immenses bénéfices. »

Malgré leur enthousiasme envers le libre-échange, les dirigeants du Parti Libéral affirment être conscients des risques que peut entraîner la ZLÉA en ce qui a trait à la culture, l’environnement ou l’écart croissant entre riches et pauvres. Toutefois, selon M. DeBlock, les libéraux ne se sont que peu informés sur la question. Il affirme que les désavantages de cet accord sont mis de côté au profit des avantages, et rappelle l’ouverture des libéraux vis-à-vis les investissements étrangers et la primauté des questions économiques dans leur échelle de priorité.
L’économie est aussi au cœur des préoccupations de l’Action démocratique du Québec (ADQ). Le parti de Mario Dumont compte placer le Québec dans « l’économie mondiale des services [...], orienter son action à l’étranger sur le développement économique » et « faire sa part pour le bien de l’humanité », selon le programme adéquiste.

Lors d’un discours prononcé par Mario Dumont, des critiques l’ont accusé de ne pas être au fait de tous les enjeux reliés à la mondialisation, ce à quoi le chef de l’ADQ a répliqué : « Peut-être que la globalisation économique a pris un peu d’avance sur les éléments politiques et sociaux, mais ça va suivre, c’est assez inévitable » (Le Soleil, 17 décembre 2002). Pourtant, selon Pierre Fortin, « il ne faut pas douter une seconde de la position favorable de Mario Dumont à la mondialisation des marchés ». Une opinion partagée par Christian DeBlock qui qualifie les adéquistes d’ultrali-béraux et de monétaristes tout en étant moins nuancés que le Parti Libéral.

« Un autre monde est possible »

De l’autre côté de l’échiquier politique, à gauche, l’Union des forces progressistes (UFP), un jeune parti encore méconnu de l’ensemble de la population québécoise. Avec le slogan « Un autre monde est possible », l’UFP aspire, selon la vice-présidente et porte-parole du parti, Molly Alexander, à « être la voix des mouvements progressistes qui luttent déjà contre la mondialisation depuis plusieurs années ».

L’UFP affiche clairement son opposition à la mondialisation néolibérale en se prononçant, entre autres, contre la ZLÉA et contre la guerre en Irak. « On est contre le marché avant l’humain. Il y a des valeurs sur lesquelles on ne pliera pas », rappelle la porte-parole. L’UFP n’exclut aucune alternative économique mais mentionne, dans sa plate-forme politique, l’importance de « la préséance de l’État sur les acteurs économiques ».

Le nouveau gouvernement qui sera élu le 14 avril prochain aura un rôle important à jouer afin de déterminer les modèles économiques à adopter au cours des prochaines années. Qu’on en soit conscient ou non, la mondialisation est bien présente dans notre vie de tous les jours, et mérite qu’on se positionne sur le sujet. Le débat est lancé.


PHOTO : Lors du Sommet des Amériques, en avril 2001 à Québec, le gouvernement fédéral a refusé la demande de Bernard Landry , qui souhaitait participer à la rencontre des chefs d’État. Pour ne pas être en reste, le gouvernement québécois avait organisé une rencontre au Parlement avec les représentants du Sommet des peuples des Amériques.

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