Quand l’art passe à l’action

jeudi 25 septembre 2008, par Mélissa Guillemette

Ils préparent leurs plans d’attaque avec minutie. Ils rejoignent les médias pour étendre les dégâts et exécutent finalement leur coup d’éclat là où tous pourront les voir. Depuis 10 ans, l’Action terroriste socialement acceptable sème des œuvres-bombes sur la place publique pour crier ses positions. Rencontre avec les deux fondateurs.

Pénétrer dans les locaux des terroristes les plus connus de Montréal, situés dans un appartement lumineux du Plateau Mont-Royal, est finalement une aventure peu dangereuse. C’est rencontrer un homme, Pierre Allard, dont les cheveux ont gagné la bataille, et sa douce, Annie Roy, ancienne chorégraphe à l’air sympathique. Mais surtout, c’est voir 10 ans d’art et d’engagement suspendu, agrafé ou collé aux murs surchargés.

Depuis une décennie, le couple se réveille chaque matin pour aller travailler dans leur bureau de l’Action terroriste socialement acceptable (ATSA)… situé de l’autre côté de la porte de leur chambre à coucher, juste à côté du poste d’une des deux employées à temps partiel de l’organisme. Et qu’est-ce qui a changé en 10 ans de travail ? « On se fait moins envoyer promener qu’avant ! répond Pierre Allard. Les gens s’ouvrent de plus en plus aux problèmes qui les entourent. » Depuis 1998, les deux amoureux et leur équipe ont usé d’imagination pour « générer l’élan des jeunes et secouer les vieux ». Ils ont entre autres distribué de fausses contraventions aux propriétaires de véhicules utilitaires sport. Ils ont aussi construit un site archéologique de l’an 3541, pour laisser entrevoir ce que les humains sont en train de léguer aux générations futures.

Après une décennie à mobiliser la population avec l’art, les deux artistes constatent qu’ils ont eux-mêmes beaucoup évolué. « Je ne connaissais même pas le compost avant de faire l’œuvre Parc Industriel [le site archéologique], avoue Annie. On s’auto-éduque nous aussi ! On fait mieux qu’il y a dix ans pour la planète.  » Toutes ces années d’action ont éveillé l’artiste à ses droits de citoyenne. « J’ai réalisé que je pouvais cogner à la fenêtre de la voiture de quelqu’un qui est stationné pour lui dire d’éteindre son moteur. C’est mon air à moi aussi qu’il pollue. »

La Banque à bas

Leurs actions en ont ébranlé plus d’un, à commencer par la direction du Musée d’art contemporain de Montréal lors de leur première action terroriste en décembre 1997. L’idée leur est venue devant la télévision : « On a appris dans un même bulletin que le profit des banques montait à 9,5 milliards de dollars et que la Maison du Père avait besoin de 109 paires de bas par jour pour les plus démunis, se souvient Pierre Allard. On trouvait que ça n’avait pas de bon sens. » Pour attirer l’attention sur la misère, les tourtereaux ont monté une exposition illégale devant le musée, allant jusqu’à travestir l’affiche de l’exposition en cours.

C’était la Banque à bas, une structure constituée de cuisinières électriques soudées les unes par-dessus les autres. Les gens étaient invités à déposer dans les fours les bas et les vêtements dont ils ne se servaient plus. Les Montréalais sans le sou pouvaient alors retirer ces dépôts, comme s’il s’agissait de guichets automatiques géants. « Ç’a duré plus de deux mois et on a même fini par entrer dans le Musée avec la chorale de l’Accueil Bonneau », se rappelle Annie Roy. Cette première action a donné le ton pour la vingtaine d’interventions suivantes.

Junk à vendre

Après dix ans d’actions explosives, l’ATSA a rempli un entrepôt « de junk qui ne sert à rien ». Pour ses noces d’étain, l’organisme veut faire revivre ses œuvres en vendant des morceaux, dans le cadre de leur action anniversaire intitulée CHANGE. Le 2 octobre, elle s’initiera donc au mercantilisme avec l’ouverture d’une petite boutique logée dans un vieil édifice du boulevard Saint-Laurent. Les admirateurs pourront s’y procurer un produit dérivé des actions terroristes passées.

Pour l’occasion, l’ATSA convie les citoyens au Parc du Portugal pour une fête foraine mercantile où l’argent sera à l’honneur. Une série de jeux d’adresse permettront à l’organisme d’augmenter son fonds de commerce : pile ou face pour définir qui paie les taxes, lancer du petit change et tir de pancartes électorales à coup de 25 sous. « On veut que le plancher soit tapissé d’argent avant la fermeture. On amène surtout sa carte de crédit, son désir de dépenser et sa bonne humeur », dit Annie Roy d’un ton dérisoire. La boutique restera ensuite ouverte pendant onze semaines.

Le même soir sera aussi lancée la publication anniversaire ATSA : Quand l’Art passe à l’Action, évidement imprimé sur papier recyclé – « et 100 % recyclable », rigole Pierre. Diffusé par les éditions Publishing, le livre réunit l’ensemble de l’œuvre atsaïenne en photos, souvenirs et textes. « Notre travail est éphémère. On avait envie d’avoir une preuve écrite qu’on a fait quelque chose », dit-il.

Un souhait pour les 10 prochaines années ? « On aimerait bien avoir pignon sur rue, au-delà de la durée de la boutique CHANGE », dit Annie Roy. Si le couple n’avait pas d’ambition à long terme pour l’ATSA au temps de la Banque à bas, la machine à attentats est aujourd’hui plus vivante que jamais.

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