Plusieurs épouses pour un seul homme...

jeudi 10 mars 2005, par Louis LESSARD, Martine LÉVESQUE

Au Niger, la polygamie hante les femmes. Comme un spectre dans l’horizon féminin ou comme l’épée de Damoclès, arrive le jour où les femmes doivent faire place à une deuxième, une troisième ou même une quatrième épouse.

Religion musulmane et pressions socioculturelles obligent. Dans les faits, la co-habitation est plus facile à vivre en théorie qu’en pratique. Cas d’exception, le duo Makka et Salmu Barkire, les épouses d’un même homme, ne semblent pas suivre ce courant : « Nous partageons le même mari depuis 25 ans et nous vivons en pleine harmonie ! » nous ont-elles confié dans l’intimité de leur foyer.

Vécu de l’intérieur

La concession, terrain clos regroupant autour d’une cour un ensemble d’habitations d’une ou plusieurs familles, ressemble à toutes les autres. À l’entrée, on trouve tout de suite le robinet commun, plus souvent à sec dans ce quartier populaire de la capitale Niamey. La première case héberge la première épouse, la deuxième, à gauche, est réservée à la 2e épouse. Les 2 cases, faites de banco - argile mélangé à de la paille - sont identiques : deux pièces, le vestibule et la chambre à coucher. Chaque pièce est décorée au goût de chacune, avec des tapis collés aux murs. Une grande armoire exhibe les cadeaux reçus de sa famille : des casseroles en grande quantité, des bibelots et autres articles garnis de bordures dorées. La chambre à coucher contient tout juste le lit matrimonial. Un territoire bien délimité où chacun vit chez soi la nuit mais où tous vivent ensemble le jour. Un terrain vaste, démuni, que du sable et des ordures emportées par le vent. Des enfants en pagaille qui courent partout ou jouent avec une quelconque bricole recyclée. Des femmes qui s’affairent à préparer le plat quotidien, la boule - plat de base du Niger, composé de mil et de lait caillé.

L’exubérante Makka, 50 ans, grande et costaude, partage un quart de siècle de vie commune avec sa co-épouse Salmu Barkire, douce, rangée et de 10 ans sa cadette. Ensemble, elles ont 11 enfants et un mari, plus âgé. La première épouse, appelée « la grande épouse », est celle qui nous reçoit, sur son territoire, en compagnie de sa co-épouse et du groupe de femmes dont elles font partie. On ne peut parler de polygamie seule, on doit inviter ses sœurs, grandes et petites, pour démontrer la grande solidarité qui lie les femmes sur cette question au moment d’en discuter.
Les secrets du succès

Makka et Salmu sont catégoriques sur le fait qu’elles ont réussi à vivre ensemble parce qu’elles ont formé une « alliance », une complicité développée au fil des années. Le mari est de mauvaise humeur, malade, ou absent ? Elles cherchent à s’en informer mutuellement et à développer une stratégie commune.

Dès l’arrivée de la deuxième épouse, le « partage » du mari se fait selon des règles dictées par leur culture zarma (l’une des 10 cultures du Niger) et qu’elles se font un devoir de respecter pour le bien-être et la convivialité. « Le mari ne doit pas passer plus d’une nuit à la fois chez chacune de ses femmes » affirme convaincue Makka. La croyance est que si l’homme a la possibilité de choisir combien de temps il peut passer chez chacune, très vite, il aura ses préférences et une femme sera privilégiée aux dépens de l’autre ou des autres. « Et c’est là que la rivalité commence, que les conflits sont générés, toujours du fait de l’homme qui en est le provocateur » selon la deuxième épouse. Le conflit aurait toujours une cause matérielle ou affective : le mari donne plus de cadeaux à une femme ou à ses enfants. Donc, est établi dès le départ le système d’alternance qui fait que le mari change de chambre à coucher chaque nuit sauf en cas de maladie où on lui reconnaît le droit de se faire soigner par l’épouse chez qui il se trouvait la nuit précédente. L’autre exception se situe lors de l’arrivée de l’épouse suivante à qui on concède les sept premières nuits avec l’époux... bien que maintenant la norme le réduirait à trois nuits. C’est l’ancien président Seyni Kountche, par décret présidentiel, qui a statué « qu’on ne devait pas délaisser la « grande femme dès le début d’une nouvelle relation ».

Mais le vrai succès de leur vie commune selon elles est dû à la prise en charge du mari par celles-ci. Le mari, sans emploi depuis des années, se retrouve à la charge de ses deux femmes qui elles, subviennent aux besoins des deux familles. Toutes deux sont vendeuses, des plats de plastique pour l’une, des tomates en petits sacs pour l’autre. Un travail qui rapporte peu au plan monétaire, soit moins de 2,50 dollars canadiens par jour, car leur pauvreté est palpable, mais combien au plan du rapport avec le mari. « Un mari sans pouvoir économique est un mari qui ne peut pas commander, qui ne peut pas diviser, donc qui doit accepter ce que ses femmes lui disent ! » affirme Makka.

Ce n’est pas toujours rose

Il arrive des situations où elles ne s’entendent pas. Qui gagne ? Dans la culture, il revient à l’aînée de céder. Elle est obligée de se replier. Sage, elle laisse la place à la plus jeune parce qu’elle « se dit qu’elle est la plus aimée »... C’est un mécanisme de règlement de conflits assez exceptionnel. Pour la plupart des co-épouses nigériennes, la vie au quotidien est empreinte de rivalités, de jalousies et même de violence entre les femmes quand la situation atteint son paroxysme. La prison civile de Niamey est remplie de femmes coupables de violences reliées à la polygamie.

Le paradoxe

Mais pour ces deux femmes, la polygamie demeure un mal à accepter. Les deuxièmes, troisièmes ou quatrièmes épouses sont vues comme des intruses. Si elles avaient le choix, toutes les deux diraient non à la polygamie. Au nom de la religion et de la culture, on doit s’y soumettre. Femmes et hommes confondus.

Dans la religion musulmane, l’homme fait honneur à sa religion en exerçant son droit d’épouser jusqu’à quatre femmes. Le Coran précise toutefois que l’homme doit être en mesure de subvenir aux besoins de toutes ses femmes et se montrer parfaitement équitable envers elles.

D’un autre côté, les pressions de la culture zarma sont telles qu’un homme qui ne « prend » qu’une seule femme, est mal vu et subit des remarques constantes faisant de lui un homme qui n’a « qu’un œil », un homme incomplet aux yeux de ses pairs et de certaines femmes.

Contrairement à la Tunisie qui a aboli la polygamie, rien dans le paysage politique nigérien ne semble ébranler cette pratique fortement ancrée. « C’est impossible au Niger parce que les lois sont faites par des hommes qui ont déjà plus d’une femme » argumentent les co-épouses.

Une troisième femme sera-elle acceptée ? « NON ! Mais si elle vient, on lui construira sa case » rétorque la cadette des femmes. Et si la troisième épouse était une blanche ? Elles éclatent toutes de rire. « Ah mais oui, au moins elle pourrait toutes nous prendre en charge ! Et si c’était une blanche pauvre ? « Vous riez de nous, vous savez bien que ça n’existe pas !! »


Remerciements : Toute notre gratitude à Halima Sarmai, qui a été d’un grand support pour notre compréhension du phénomène des co-épouses de même que pour la traduction du zarma au français.

Notes bibliographiques

Martine Lévesque réside au Niger depuis quelques années. Elle s’est particulièrement intéressée à la situation des femmes dans les pays en voie de développement. Son implication sociale et ses travaux de recherche en Afrique et en Amérique Latine l’ont amenée à rencontrer des centaines de femmes aux réalités et passions diverses.

Louis Lessard journaliste indépendant en Afrique. Il est diplômé en science politique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et poursuit ses études au certificat en journalisme à l’Université Laval. Il a effectué un stage de trois mois en médias alternatifs au Niger avec l’organisation Alternatives. Présentement, il travaille comme journaliste pigiste depuis le Niger en Afrique de l’Ouest et est collaborateur pour Radio-Canada international. Louis Lessard a fait plusieurs séjours et expéditions en Europe, Afrique, Amérique Latine et aux États-unis.

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