Après plusieurs dizaines d’années de militantisme féministe, les femmes dressent un bilan mitigé de leurs percées en politique. « Il y a une certaine progression, mais elle ne se fait pas rapidement », affirme Nicole Brais de la Commission femmes et ville, et professeure à l’Université Laval de Québec. Elle est du même avis que Chantal Maillé, professeure à l’Université Concordia au programme Women’s Studies : les femmes sont sous-représentées sur la scène politique et des mesures plus strictes sont nécessaires afin de renverser la tendance.
L’Assemblée nationale du Québec ne compte que 33 femmes sur 125 députés, soit une représentation féminine de 26 %. Des pays comme le Danemark, la Suède, la Norvège et l’Islande comptent aujourd’hui plus du tiers de femmes parmi leurs élus. Dans tous ces pays, les partis politiques, de leur plein gré, ont adopté des mesures favorisant la participation des femmes en politique, explique Chantal Maillé. En 2000, c’était au tour de la France d’adopter une loi sur la parité, qui oblige les partis à présenter 50 % de femmes parmi leurs candidats lors des élections communales. Et sans les obliger à en faire autant lors des législatives, elle les incite fortement, en les pénalisant financièrement si tel n’est pas le cas. Résultat : lors des premières élections municipales françaises, à la suite de l’adoption de cette loi, 47,5 % des conseillers municipaux élus étaient des femmes, pour l’ensemble des villes de plus de 3 500 habitants, contre 21,9 % auparavant.
Oui à la parité
Les deux professeures, Chantal Maillé et Nicole Brais, sont en faveur de l’adoption d’une telle loi au Québec, même si elles émettent quelques avertissements. Nicole Brais prévient que cette mesure « permettra un bon quantitatif, pas nécessairement qualitatif. Mais c’est un constat que l’on peut aussi faire chez les hommes. » Par ailleurs, ajoute-t-elle, une combinaison de réformes et de mesures incitatives est nécessaire. Ainsi, les deux femmes disent oui à une loi sur la parité des sexes mais aussi à des mesures en faveur de la participation et de l’inclusion des autres groupes marginalisés, telles les communautés culturelles. Le scrutin proportionnel est en ce sens une avenue privilégiée par l’une et l’autre, ce qui permettrait « de donner une place aux partis marginaux », commente Nicole Brais.
De son côté, Chantal Maillé dit ne pas être d’accord avec les arguments des féministes dites « paritaristes » en France, mais croit tout de même que la parité est préférable au statu quo, même si elle représente une solution imparfaite. Ce qu’elle reproche au projet français de parité est le fait « qu’il trouve ses fondements dans un féminisme incapable d’intégrer une vision du social qui conjugue à la fois le genre et d’autres appartenances. »
Elles rappellent aussi que les femmes, pas plus que les hommes, ne représentent un bloc monolithique, soit l’ensemble de la communauté femmes. Elles n’ont pas toutes les mêmes idées, ne défendent pas toutes les mêmes intérêts, n’ont pas nécessairement une même analyse d’un même sujet. D’où l’importance d’une plus grande représentation tant des femmes que des autres groupes jusqu’ici exclus du jeu politique officiel. En ce sens, « la représentation proportionnelle permettrait une plus grande démocratie, laissant plus de place aux petits partis en assurant une meilleure traduction des votes en sièges », commente Chantal Maillé, qui rappelle, qu’encore aujourd’hui, les hommes politiques sont très majoritairement blancs, hétérosexuels, de la classe moyenne et ont fait des études supérieures.
En marge
Pour ces deux femmes, il ne fait pas de doute que la sous-représentation des femmes en politique n’est aucunement liée à des facteurs dits intrinsèques, relevant de la nature des femmes ou de leur éducation. Les institutions telles qu’elles existent et le système créent par leurs mécanismes cette exclusion et confinent tous les autres groupes de la société à œuvrer à la marge, à l’intérieur d’associations et de groupes militants et revendicatifs où les femmes sont très présentes et très actives. C’est ce qu’a pu constater Chantal Maillé dans son étude sur la participation des femmes dans les débats constitutionnels : Cherchez la femme. Trente ans de débats constitutionnels au Québec.
Pourquoi est-il si nécessaire, alors, que les femmes soient plus nombreuses parmi les élus ? Nicole Brais répond sans hésiter : « Parce qu’on ne peut que constater les limites du pouvoir de la société civile. La Marche mondiale des femmes 2000 en est un bon exemple. Le gouvernement n’a véritablement donné suite à aucune des revendications. »