Autrefois, l’Irak était l’un des pays, sinon le pays du monde arabe, où la qualité de vie et le niveau d’éducation étaient les plus élevés. Depuis la guerre du Golfe, le destin de la population irakienne a complètement basculé. L’automne dernier, quelques jours après le 11 septembre, Monsieur Hans von Sponeck était de passage à Montréal pour une conférence sur la situation en Irak. Von Sponeck est l’un des deux coordonnateurs démissionnaires du Programme humanitaire des Nations unies en Irak. Comme son prédécesseur, Dennis Halliday, il dénonce les sanctions et leurs terribles effets sur la population. Lors de son passage à Montréal, citant les chiffres de l’Unicef, il rappelait que l’Irak figure maintenant au plus bas de la liste des 188 pays où la situation des enfants est la plus dramatique dans le monde, avec une augmentation de la mortalité infantile de 160 % depuis 11 ans. Si en 1988 l’Irak a été récompensé du prix de l’Unesco pour son effort quant à l’alphabétisation de la population, aujourd’hui, plus rien n’y paraît. De 80 % le taux d’alphabétisation était déjà redescendu à 52 % en 1995.
Selon les rapports des Nations unies, l’embargo a entre autres provoqué jusqu’à présent 1,5 million de morts dont 650 000 enfants de moins de cinq ans, et 50 % de la population consomment de l’eau contaminée ce qui provoque une augmentation galopante de maladies infectieuses et souvent mortelles.
Mais le président George W. Bush est déterminé à en découdre avec l’Irak. Il veut la guerre. Pour l’instant, il n’a pour seul allié que la Grande-Bretagne. Les autres pays occidentaux, y compris le Canada, attendent toujours les preuves des liens prétendus entre le régime de Bagdad et Al Qaïda, de même que de la menace de l’utilisation d’armes de destruction massive contre les États-Unis.
Dans son discours du 12 septembre 2002, prononcé devant l’Assemblée générale des Nations unies, George W. Bush a évoqué les graves violations de droits humains commises à l’encontre du peuple irakien par le régime de Saddam Hussein, pour convaincre les autres États de le suivre dans sa croisade contre le terrorisme en Irak. Insidieusement, l’administration Bush avait alors glissé dans la pochette de presse, une documentation faisant régulièrement allusion aux rapports d’Amnistie sur la situation des droits humains en Irak. Ce qu’a vivement déploré la section canadienne francophone de l’organisation dans un communiqué émis le lendemain : « Une fois de plus, le bilan d’un État en matière de droits fondamentaux est utilisé de manière sélective pour justifier une intervention militaire. »
Des pertes acceptables
Amnistie internationale va plus loin en réaffirmant que « la vie et la sécurité des civils doivent primer toute autre considération dans le cadre de toute initiative prise pour résoudre la crise que connaît actuellement l’Irak sur le plan humanitaire et des droits humains. La précédente intervention armée dans le Golfe a montré que, trop souvent, les civils deviennent des pertes acceptables. Il est fortement à craindre qu’une intervention militaire ne se traduise par des flux massifs de réfugiés, et par le déplacement de milliers de personnes à l’intérieur de l’Irak. Il est possible qu’une crise humanitaire soit provoquée par le manque de produits de première nécessité, notamment de nourriture et de médicaments, dont la fourniture pourrait devenir difficile, voire impossible, et par la destruction d’institutions et d’infrastructures civiles. »
Raymond Legault de l’organisation Objection de conscience qui depuis plusieurs années mène au Québec une campagne en faveur de la levée des sanctions en Irak, craint le pire : « En acceptant subitement le retour des inspecteurs d’armements des Nations unies, sans condition, l’Irak a réussi à réduire le risque immédiat d’une guerre-occupation par les États-Unis. Mais la superpuissance américaine n’a pas renoncé à ce terrible projet et, encore une fois, nous avons tout lieu de craindre que le Canada se rangera dans le camp étatsunien, le moment venu. Dans les derniers jours, nous avons vu le ministre Graham se réjouir du discours de Bush et le premier ministre Chrétien déclarer qu’il n’excluait pas que le Canada participe à une guerre contre l’Irak ; de plus, le Canada soutient présentement la démarche des États-Unis au Conseil de sécurité en vue de l’adoption d’une nouvelle résolution, qui avaliserait le recours à la force pour toute « non-coopération » irakienne. »
Le porte-parole d’Objection de conscience rappelle que l’envoi de lettres portant des messages de protestation à l’adresse de Jean Chrétien et à Bill Graham est donc toujours nécessaire.
Quelques chances...
N’oublions pas que le Canada a appuyé en 1991 les bombardements, qu’il a participé à l’embargo, en plus d’injecter plus d’un milliard de dollars dans cette entreprise de prétendue destruction du régime de Bagdad qui n’a eu d’autre conséquence que celle de détruire tout un peuple au cours des 11 dernières années.
Les chances que le président Bush renonce à son projet de guerre totale contre l’Irak semblent à peu près nulles. Mais peut-être est-ce encore possible de convaincre notre gouvernement de maintenir sa position et de garder ses distances vis-à-vis de cette entreprise, dont la seule issue prévisible est l’augmentation de la souffrance des civils irakiens.