Entrevue avec Tahani Rached :

« Parce que nous sommes avant tout des êtres humains »

mardi 1er octobre 2002, par Daphnée DION-VIENS

« Quand on est immigrant, on le reste pour toujours », affirme d’entrée de jeu Tahani Rached, cinéaste à l’Office nationale du film (ONF), Égyptienne d’origine et établie au Québec depuis 1966. « Et on n’a jamais complètement fait le tour. Même après toutes ces années, il y a toujours des choses qui me surprennent. »

PHOTO : Daphnée Dion-Viens

À 18 ans, Tahani Rached a dû quitter sa ville natale, le Caire, lorsque son père a perdu son emploi. L’entreprise pour laquelle il travaillait a été nationalisée et il était très difficile de trouver du travail en Égypte à ce moment. Sans revenu, sa famille n’avait d’autres choix que d’immigrer. Il était beaucoup plus facile d’obtenir les papiers d’immigration pour le Canada que pour les États-Unis, et des cousins étaient déjà installés au Québec. Montréal fut donc la porte de sortie.

Se refaire une vie
Arrivée seule, elle s’est trouvé un boulot afin de parrainer ses parents, qui sont ensuite venus la rejoindre. Malgré la difficulté de devoir tout quitter et de se refaire une vie ici, au Québec, elle considère qu’elle a eu beaucoup de chance et garde un bon souvenir de son adaptation montréalaise. « Il y avait un garçon avec qui je travaillais qui m’avait dit : "Si tu veux connaître le Québec, il faut que tu découvres le hockey et Félix Leclerc". Ça été très chaleureux ! »

Elle a ensuite étudié à l’École des Beaux-Arts de Montréal avant de s’engager dans le milieu communautaire et syndical, où elle a fait ses premières armes en production vidéo. Son premier long-métrage, Les voleurs de jobs, examine le rapport au travail des nouveaux arrivants. « On enferme souvent l’immigration dans un rapport à la culture, alors que c’est un phénomène déterminé par l’obligation de travailler. Immigrer, ce n’est pas une décision que l’on prend de gaieté de cœur. C’est un arrachement. C’est une décision que l’on prend pour survivre. Et c’est vrai qu’on est ici parce qu’on a besoin de nous, du "cheap labor" que l’on représente. » Elle joint officiellement les rangs de l’ONF en 1980, où elle réalisera, entre autres, les longs-métrages Médecin de cœur et Quatre femmes d’Égypte.

Son prochain projet, un documentaire qui portera sur les femmes et la guerre au Moyen-Orient, est présentement à l’étape de la recherche. Elle s’envolera d’ici quelques semaines pour Israël et les Territoires occupés, « l’oreille grande ouverte pour entendre ce que les femmes ont à raconter ».

Dualité
Être immigré, c’est avant tout une dualité pour Tahani Rached : « C’est à la fois une force extraordinaire et une grande vulnérabilité. Il faut travailler deux fois plus pour être reconnu, pour faire sa place, mais c’est une grande richesse de partager deux cultures et de se sentir chez soi à la fois ici et là-bas ».

Elle va et vient régulièrement entre Montréal et le Caire et est toujours aussi attachée à son pays natal : « J’ai vécu ici plus longtemps qu’en Égypte mais j’y ai vécu l’enfance qui marque peut-être plus que les années d’adulte. Mon attachement à l’Égypte est toujours aussi grand et ne faiblit pas avec les années. Et ce n’est pas du tout une question d’être bien intégré ou pas. Je me sens aussi chez moi ici. »

La cinéaste décidera de pousser plus loin la réflexion sur le statut d’immigrant et réalisera une série de six épisodes sur la communauté arabe au Québec. Une préoccupation qui est plus que jamais présente chez elle, un an après les événements du 11 septembre : « C’est effrayant de constater que tout ce qui est arabe ou musulman est à prime abord suspect. Après la chute du mur de Berlin, l’Occident a dû se trouver un nouvel ennemi et s’est tourné vers l’Islam. » Elle déplore l’image qui est véhiculée un peu partout dans les médias.

Fast-food culturel
« Il y a quelque chose de très sympathique dans l’engouement des Québécois pour les autres cultures, remarque la cinéaste, mais c’est aussi devenu une mode. Cette année c’est l’Amérique latine, l’an prochain ce sera autre chose. Ça devient de la consommation culturelle rapide, qui se limite souvent à la musique, la façon de s’habiller, la nourriture. Alors que c’est plus que ça, la culture des gens ! C’est une histoire, un rapport au monde, une manière d’être différente qui peut apporter quelque chose de plus. »

Mais pour Tahani Rached, c’est avant tout une « joie extraordinaire » quand la différence culturelle est dépassée et qu’il est possible de se reconnaître dans l’autre : « C’est vraiment formidable quand on dépasse le stade de la découverte et que l’on partage des valeurs avec quelqu’un, indépendamment de ses origines ou de sa culture. Ça vient toucher notre humanité commune. »

À propos de Daphnée DION-VIENS

Assistante à la rédaction, Journal Alternatives

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