Paix ou pacification au Soudan

jeudi 28 avril 2005, par Pierre Beaudet

Depuis le début de l’année, le Soudan vacille entre la guerre et la paix. D’une part, le conflit au Darfour dans l’est du pays risque de s’envenimer. Le gouvernement soudanais en dépit des pressions d’une partie de la communauté internationale tergiverse face à une situation qui prend la forme d’un massacre organisé. D’autre part, depuis la signature en janvier de l’accord dit de « Naivasha » entre le gouvernement soudanais et le principal groupe rebelle, l’Armée de libération du peuple du Soudan (SPLA), les Soudanais et le monde entier espèrent une résolution à cette guerre civile qui perdure depuis plus de 30 ans. Ce n’est malheureusement pas la première fois que le Soudan souffle à la fois le chaud et le froid car à plusieurs reprises, des négociations entre les parties belligérantes sont venues près d’aboutir, sans y arriver complètement.

L’« accord de Naivasha »

Négocié et concluu sous l’œil vigilant des Etats-Unis et des pays membres de l’IGAD (regroupement de pays est-africains), cet accord de Naivasha porte sur beaucoup de choses, d’où l’espoir qu’il suscite. En principe, le gouvernement soudanais et le SPLA se sont entendus pour partager le pouvoir durant une période intérimaire (le SPLA doit obtenir 40% des postes au gouvernement). Le cessez-le-feu mis en place depuis décembre 2004 doit continuer avec les deux armées, celle du gouvernement et celle du SPLA, cantonnées sur leurs positions respectives, sous la supervision d’une force multinationale de l’ONU. Plus encore, les deux parties doivent se partager les ressources, y compris celles provenant de l’exportation du pétrole (77% des revenus du Soudan), et assurer la gouvernance dans les parties du pays qu’elles contrôlent. Le gouvernement soudanais est « légitimité » d’appliquer la Shari’a dans le nord, alors que le sud en est exempt. Les activités politiques sont permises, dans des limites que doivent chacune déterminer les deux partis signataires. Finalement, un référendum sur l’autodétermination du sud doit être organisé d’ici 2011.

Relookage du pouvoir et marginalisation de l’opposition

De toute évidence, le Congrès national (parti au pouvoir dirigé par les militaires) est conforté dans la mainmise qu’il exerce sur la partie nord du pays. C’est tout un avancement pour un régime largement discrédité dont les initiateurs avaient organisé le coup d’état de 1989 et qui n’avaient même pas obtenu 15% des votes lors des dernières élections démocratiques de 1986. Les partis d’opposition au nord sont évidemment les grands perdants dans l’accord de Naivasha, dont les deux grands partis traditionnels, le Parti Oumma et le Parti démocratique unioniste. Les formations politiques plus petites mais significatives comme le Parti communiste avec lesquels les traditionalistes avaient constitué l’Alliance nationale démocratique, sont doublement confrontées : non seulement le parti du général Bashir reste au pouvoir, mais le cadre politique et législatif qui domine est celui du régime (sous l’égide de la Shari’a). Les aspirations de l’opposition nordiste pour un Soudan démocratique et séculier sont refoulées. Quant à la société civile, qui a construit au nord des réseaux associatifs assez puissants et mis en place des campagnes de masse pour la paix et la réconciliation, elle aussi se trouve perdante.

Le SPLA conforté dans sa position

L’autre grand gagnant de Naivasha est bien sûr le SPLA, de loin la force militaire la mieux organisée au sein de l’opposition soudanaise. Bien qu’en principe membre de l’Alliance nationale démocratique, le SPLA a joué ses cartes au profit de son propre projet. D’autre part dans les régions sud du pays qu’il contrôle, le parti de John Garang agit en tant que maître absolu de la situation, ne laissant aucune place à d’autres groupes. Ceux-ci et personnalités qui se sont opposés à Garang l’ont fait à leurs dépens, tels Bona Malwal et Riek Machard, dont la popularité parmi les Nuers (deuxième groupe ethnique en importance dans le sud après les Dinkas) n’a jamais été démentie. Garang non content d’exclure d’autres formations politiques tolère très difficilement les associations, surtout celles qui tentent d’agir de manière autonome, comme le « Conseil des églises du Nouveau Soudan ». Quelques églises et ONG sont pourtant les seules à pourvoir quelques services de santé et éducatifs de base dans les zones contrôlées par le SPLA, qui n’a jamais estimé nécessaire d’ériger une administration civile et de venir en aide aux populations.

Démocratisation ou partage du gâteau ?

Pour beaucoup de Soudanais, l’accord de paix de Naivasha est un pas en avant parce qu’il institutionnalise le cessez-le-feu et intègre le SPLA dans le processus. Mais la population est sérieusement inquiète de ce qui se présente comme un pactole, un « deal » entre deux élites qui n’ont jamais été élues par personne. Sans autre idéologie que celle de préserver ses privilèges, ses élites gardent leur caractère profondément anti-démocratique et anti-populaire. Le problème est gravissime si on considère le fait que le Soudan est l’un des pays les plus pauvres d’Afrique : les 40% plus pauvres par exemple se partagent les miettes (4% du revenu national), contre une élite qui fonctionne selon les règles établies par la « communauté internationale (notamment dans le cadre des accords conclus entre le gouvernement soudanais et le FMI). La pauvreté et l’exclusion sont plus dramatiques au sud (moins de 20% des enfants sudistes sont à l’école), mais atteignent aussi l’ensemble du pays, y compris les zones périphériques à l’est et à l’ouest, comme le Darfour.

Paix versus pacification

Les pays occidentaux et africains qui ont encouragé les deux parties à signer les accords de Naivasha sont d’abord soucieux de la stabilisation d’un pays qui pourrait potentiellement devenir un grand producteur de pétrole et de gaz. Les exportations qui sont en hausse sont encore handicapées du fait que les principales réserves se situent entre le nord et le sud, non loin des zones de combat. L’intégration du SPLA dans le gouvernement et son accès aux revenus tirés de la vente du pétrole est donc apparue comme une priorité pour les pays impliqués dans l’exploitation du pétrole. Pour leur part, les Etats-Unis ont voulu éviter que le Soudan ne serve d’appui ou d’allié aux « puissances de l’axe du mal ». Le gouvernement soudanais qui a vu cette situation dès septembre 2001 a bien su exploiter cette demande et négocier avec Washington son inclusion dans les pays qui participent à la « guerre contre le terrorisme ». Enfin les pays africains de la région, notamment le Kenya, l’Ouganda, le Tchad et l’Égypte, désirent avant tout que le Soudan cesse d’être un territoire qui accueille les dissidents et les rebelles. On comprend dès lors que la pression internationale qui a abouti à l’accord de Naivasha avait comme priorité une « pacification » du pays, plutôt que la mise en place d’une véritable paix assortie de la démocratie.

Rien n’est réglé

En dépit du rapprochement historique entre le gouvernement et le SPLA, rien n’est encore réglé. Le problème militaire demeure présent, dans un pays immense aux frontières non contrôlées, et face à des forces armées qui comptent des dizaines de milliers de combattants, sans compter les contingents immenses qui se retrouvent dans diverses forces paramilitaires « non-officielles ». La présence de près d’un million de réfugiés soudanais dans les pays limitrophes, les trois ou quatre millions de déplacés dits « internes », la pauvreté et la misère qui frappe la grande majorité, sont autant de facteurs qui ajoutent à la complexité de la situation. De plus et parallèlement, d’autres forces politiques et militaires s’estiment exclues et pourraient « remettre cela ». C’est certainement le cas dans le Darfour où deux mouvements sont à l’œuvre, dans le cadre d’alliances internes et externes ambiguës. C’est également le cas dans l’est du Soudan où des populations historiquement marginalisées comme les Beijas ne sont pas prêtes à se faire oublier. En sus de ces oppositions régionales armées, il y a également les mouvements politiques et sociaux qui abondent, notamment dans l’immense métropole de Khartoum-Omdourman (6-7 millions d’habitants), et qui se souviennent d’avoir renversé un précédent régime militaire par une Intifada non armée et de masse en 1986. En fait, les problèmes de fond du Soudan demeurent et tant qu’ils n’auront pas été réglés dans un esprit d’inclusion et de paix durable, ce pays connaîtra l’insécurité et la violence.

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