Selon un sondage de Latinobarómetro, trois personnes sur quatre en Amérique latine auraient choisi Obama plutôt que McCain s’ils avaient pu voter aux présidentielles. On a observé la même tendance largement favorable au candidat démocrate en Europe, en Afrique et en Asie. Le phénomène Obama peut se résumer en un mot : espoir.
Les attentes sont tellement nombreuses et démesurées – parfois contradictoires – que l’on peut d’ores et déjà anticiper l’ampleur de la désillusion, notamment en Amérique latine. Bush incarne pour la plupart des Latino-Américains – et pas seulement ceux de gauche – tout ce qu’il y a de négatif dans l’image des États-Unis : avidité capitaliste, mépris des plus faibles, militarisme, etc. En revanche Obama représente ce qu’ils admirent chez le peuple américain : capacité de changement collectif, dépassement des clivages raciaux, opportunité de mobilité sociale pour l’individu.
Que peut-on espérer de la future politique américaine vis-à-vis de l’Amérique latine ?
Si l’on se fie aux discours électoraux, il y a sans doute place pour l’optimisme. C’est dans une longue allocution prononcée au Sénat en mars 2008 qu’Obama a dressé le portrait le plus détaillé de sa vision pour l’hémisphère Sud. Il y a parlé de « restaurer les liens », de « maintenir notre engagement envers la démocratie, la justice sociale et l’opportunité pour nos voisins du Sud ». Tous les bons mots sont là : partenariat, coopération, convergence, proximité croissante, liens profonds, renouveau. Naturellement, Obama s’est livré dans ce discours à une critique acerbe de l’administration Bush, en évoquant le besoin d’en finir avec « six ans de négligence et de relations malmenées ». Il faisait allusion, bien évidemment, au fait que l’Amérique latine soit tombée très bas dans l’échelle des priorités de la Maison-Blanche après le 11-Septembre. Non seulement Obama proposait de « réaffirmer l’importance de notre relation avec les 500 millions de personnes qui vivent au sud de chez nous », mais aussi de redonner aux États-Unis son « rôle historique de leader dans les Amériques ».
Selon Obama, ce leadership retrouvé devrait se conjuguer à une nouvelle façon d’envisager les rapports avec les pays latino-américains. Washington doit « répondre de manière attentive et respectueuse » aux changements qui ont cours dans le continent. Parmi les objectifs, Obama proposait, entre autres, d’augmenter – quoique sans apporter des chiffres – l’aide pour la lutte contre la pauvreté et les maladies infectieuses, d’élargir la coopération avec le Brésil au chapitre de l’utilisation de l’éthanol comme source d’énergie renouvelable, de transférer des ressources et du savoir-faire pour lutter contre le crime organisé transnational en Amérique centrale, et de travailler à une réforme des lois d’immigration de concert avec le Mexique.
De tels projets ne constituent pas véritablement une déviation significative par rapport à la politique actuelle des États-Unis envers l’Amérique latine. Il faut toutefois remarquer le souhait d’Obama d’inclure les leaders considérés hostiles aux intérêts américains – dont Hugo Chávez – dans un dialogue constructif, et de considérer le tournant à gauche – lorsqu’il s’agit d’une gauche jugée « modérée » et « responsable » – comme un facteur de stabilité démocratique dans la région. Cette attitude semble manifester un plus grand pragmatisme et une meilleure compréhension de la réalité latino-américaine que l’administration Bush. Aussi, la volonté de se distancer des éléments les plus troublants du gouvernement colombien d’Álvaro Uribe en matière de droits humains peut être vue comme une bonne nouvelle.
Doit-on se réjouir ou craindre cette attention renouvelée envers l’Amérique latine ?
De nombreux Latino-Américains sont convaincus que c’est la relative indifférence de la Maison-Blanche à l’égard de la région qui a rendu possible le virage à gauche de quelques pays ces dernières années. On n’a pas encore effacé le souvenir des interventions militaires américaines en Amérique centrale et dans les Caraïbes dans les années 1980. Dans le contexte de la Guerre froide, que ce soit pour contrer le « communisme » ou la « corruption », ces interventions eurent toujours lieu au nom des intérêts suprêmes des États-Unis. On n’a pas non plus oublié la poussée néolibérale des années 1990, dont le « Consensus de Washington » a été l’emblème par excellence. Plusieurs se demandent s’il ne vaut pas mieux rester à l’écart des grands desseins du géant du Nord plutôt qu’en être la cible, même si les intentions sont bonnes ou les déclarations bienveillantes.
Il faut aussi se rappeler que les démocrates sont généralement plus protectionnistes que les républicains, alors que la plupart des pays latino-américains, grands et petits, souhaitent ardemment un accès plus libre au marché nord-américain. D’autre part, les démocrates sont habituellement moins disposés que les républicains à amnistier les immigrants illégaux, un enjeu clef pour le Mexique et l’Amérique centrale. Les plus cyniques noteront que la notion d’« intérêts » (économiques et sécuritaires) est l’un des plus fréquents dans l’allocution d’Obama sur l’Amérique latine au Sénat. Ce qui reflète son approche réaliste des relations internationales (alors que le mot « commerce » y est absent). Ceux-ci ne manqueront pas non plus de signaler que dans l’un des discours les plus importants qu’Obama ait prononcé pour présenter sa conception de la mondialisation, devant le Council of Global Affairs en avril 2007, il n’a mentionné l’Amérique latine que pour évoquer le trafic de drogues et la corruption, deux thèmes au cœur de l’agenda géopolitique de l’administration Bush pour l’hémisphère.
Il est trop tôt pour savoir si la rhétorique d’Obama au sujet d’une nouvelle relation avec l’Amérique latine se concrétisera et si, dans la pratique, l’Amérique latine en sortira fortifiée. Il faudra aussi attendre pour savoir si les Latino-Américains préfèrent l’indifférence de l’« ennemi Bush » ou l’attention de l’« ami Obama ».