Instaurer la démocratie dans un pays après 240 ans d’une monarchie répondant davantage à un modèle féodal est un défi pour tout gouvernement fraîchement élu par des électeurs confiants et aspirants à un ordre nouveau.
Instaurer la démocratie dans un pays après dix ans de conflit armé, de terreur, d’enlèvements infondés, de disparitions et d’assassinats extrajudiciaires faisant 13 000 victimes et 200 000 déplacés, semble être utopique.
Dans les années 90 et particulièrement dans les campagnes, les insurgés oppressés par le système totalitaire de la monarchie, privés de leurs libertés fondamentales et exacerbés par les injustices et inégalités dont ils sont constamment la cible, n’aspirent qu’à un changement politique et à une émancipation.
L’espoir renaît en 1996 lorsque le Parti communiste du Népal (PCN-M) porte les frustrations économiques et sociales de toutes les couches de la population et milite pour dénoncer la discrimination dont sont victimes les femmes, les paysans, les sous castes, etc. C’est le début de « la Guerre du peuple », un conflit déclenché par les Maoïstes qui ont su profiter de l’instabilité latente, de l’unité fragile du pays pour mieux se greffer aux aspirations du peuple népalais.
La signature du cessez-le-feu en novembre 2006 entre l’armée népalaise et les Maoïstes, désignés comme « terroristes » par les puissances occidentales exauce enfin le rêve profond de la population, celui d’une nouvelle vie, d’un « Népal nouveau », d’une paix prolongée sans aucune forme de violence. Les élections d’avril 2008 gagnées par ces dits « rebelles » marquent un véritable tournant dans la vie politique du Népal et laissent envisager un futur prônant un retour aux libertés fondamentales et une égalité des chances pour tous.
Certes, comme dans tous pays en sortie de crise, la transition vers une démocratie et la transformation du conflit est une marche longue à établir, où la base même de justice sociale est à définir et à fonder. Mais aujourd’hui le peuple népalais se sent trahi et est déçu faute de ne percevoir qu’une instabilité politique et économique plutôt que les réels changements pourtant promis.
De nombreux obstacles ralentissent la solidification du processus de paix. Son essence même repose sur la renonciation à la violence, l’acceptation d’une démocratie multipartite ainsi qu’une adhésion aux normes internationales des droits humains. Malgré les témoignages publics et promesses faites par les Maoïstes, un climat d’insécurité continue de régner et avec lui l’inquiétude quant à une transformation démocratique. L’attente de résultats se fait de plus en plus longue et la confiance du peuple pour les Maoïstes qui ont toujours du sang sur les mains s’effrite petit à petit.
Le principal point de divergence au sein du gouvernement est tout d’abord d’ordre politico-militaire et constitue le dossier le plus chaud. En effet, quel devrait être le sort des soldats maoïstes et ceux de l’armée népalaise ? Car comme énoncé dans l’accord de paix de 2006, 19 600 rebelles maoïstes sont censés intégrer l’armée régulière, forte de 90 000 hommes. Or, comment réunir dans une seule et même armée deux ennemis qui se sont atrocement affrontés pendant 10 ans ? Comment prétendre le processus de paix comme complet si deux forces militaires à l’idéologie opposée cohabitent ? N’aboutirait-on pas à une scission de la notion d’unité ? Cette tension extrême entre l’armée et les ex-rebelles a été illustrée par une crise politique sans précédent, la démission début mai du premier ministre, ex-guérillero maoïste, Prachanda (« Le redoutable »). Alors que ce dernier exigeait l’intégration des anciens combattants rebelles au sein de l’armée régulière pour ainsi mieux contrôler l’institution militaire, le chef de l’armée refusait d’obtempérer. Prachanda le limogea, mais le président (centriste), Ram Baran Yadav, s’y opposa. N’ayant pas d’autre issue et comme pour prendre le peuple à témoin, Prachanda démissionne après ce qu’il qualifiera de « coup d’État constitutionnel ». Cette première grave crise politique prouve l’existence du réel fossé entre les acteurs politiques sur la question épineuse d’une cohérence au sein de l’armée régulière népalaise.
Qu’en est-il aussi de l’avenir de la Ligue des jeunes communistes (YCL), organisation de jeunesse du parti communiste, encadrée par des vétérans du maquis qui, lors du conflit et encore maintenant, fonctionne comme un outil de propagande manipulé par les Maoïstes afin de maintenir une pression sur la population ? Pour répandre la peur, enlèvements, agressions et menaces sont toujours enregistrés par les différentes associations de protection des droits de l’homme.
On ne peut nier en revanche, que le nombre de violation des droits de l’homme, de violences et de disparitions ait diminué depuis la fin du conflit, mais un trop grand nombre de citoyens désoeuvrés plaident toujours pour que la vérité soit faite sur leurs proches disparus. À cela, le gouvernement reste muet et inactif par crainte des retombées, car le système juridique peine à se mettre en place dans de tels cas.
L’enjeu principal du « Népal nouveau » est aussi la création d’un État fédéral. Mais, la tension monte dans la plaine du Terai, dans le Sud du pays, une des plus fertiles et où, à la suite des migrations rurales successives, se rassemble la moitié des Népalais considérés comme citoyens de seconde zone.
Dans un pays qui recense plus d’une centaine d’ethnies et une soixantaine de langues, l’engouement pour le fédéralisme prôné par les Maoïstes prend toute son ampleur. Cependant, diviser politiquement une mosaïque humaine entraîne souvent une multiplication des revendications conflictuelles. Très logiquement donc, lorsque dans la nouvelle Constitution, deux des castes habitant dans la plaine, les Tharus et les Madhesis sont inscrits dans la même catégorie, la révolte est vigoureuse. Manifestations régulières, pneus brûlés, routes fermées bloquant tout approvisionnant causant des pénuries et une flambée des prix. La vie quotidienne s’est figée dans l’attente d’une nouvelle annonce du gouvernement, celle d’un partage du pays sans pour autant que le multiculturalisme soit entaché. Les entreprises, les marchés, les écoles, collèges gardent leurs volets clos, les véhicules ne semblent plus vouloir démarrer.
Le cas des minorités ethniques non prises en compte dans la formation d’un nouveau pays est très délicat à aborder et les Maoïstes pataugent dans la multitude des expectatives des différentes ethnies. Leurs disparités représentent l’obstacle majeur à une paix durable et peuvent devenir une source évidente de conflit. Ce regain de violence pour affirmer son identité ethnique et lutter contre la discrimination nous ramène quelques décennies en arrière, lorsque les Maoïstes et les forces gouvernementales étaient à l’aube de « la guerre du Peuple » qui durera 10 ans.
Par ailleurs, les Maoïstes qui avaient fait de la lutte contre la corruption leur cheval de bataille lors de leur montée au pouvoir baignent dorénavant dedans et échouent dans leur tentative de mise en place d’un État sécurisé, avec un pouvoir judiciaire fort. L’assassinat en janvier par un groupe armé d’une journaliste alors qu’elle enquêtait sur les droits des femmes, des castes et sur des questions politiques, reste non élucidé jusqu’à présent, ce qui démontre à quel point l’impunité reste ancrée dans la culture sans que des investigations ou des poursuites judiciaires soient lancées.
Plus encore que répondre aux abus des dix dernières années de conflit, les Maoïstes doivent maintenant fournir des efforts afin de regagner la confiance du peuple en renonçant sans ambiguïté au recours à la violence et en réaffirmant leur engagement pour des alternatives démocratiques. En effet, l’abolition de la monarchie n’était pas voulue en tant que telle, mais le changement devait être codifié : retour aux libertés fondamentales, stabilité d’une paix durable et interruption de la violence. Comment concilier les accords pacifiques aux sujets épineux précédemment évoqués sans introduire une « déMaocratie » ?
Ceci est sans évoquer la nouvelle Constitution qui devrait être finalisée en mai 2010, dont l’avancée est retardée par les divergences d’opinions entre les différents partis à la tête du Parlement. Les trois semaines chaotiques qui suivirent la démission du premier ministre Prachanda ont abouti à l’élection d’un nouveau premier ministre, dirigeant du Parti communiste du Népal-Marxiste Léniniste Unifié (PCN-MLU) et de la formation d’une nouvelle coalition (communistes et Partis du Congrès) à la tête du Parlement constitutionnel.
Ce sont aussi les infrastructures inexistantes depuis des années ou détruites et laissées à l’abandon après des années de guerre. Ou encore les trop nombreuses coupures d’électricité qui font rage depuis l’hiver dernier et enraient le quotidien des citoyens ainsi que le bon fonctionnement à une vie économique. Le malaise s’est amplifié depuis 2006 à la suite de pluies inégales et du piteux entretien des centrales hydro-électriques dont les besoins du pays dépendent à 96 %. Le Népal se classe pourtant à la deuxième place mondiale après le Brésil en superficie recouverte d’eau en partie grâce à la chaîne de l’Himalaya, mais c’est son pays voisin, son « grand frère », l’Inde, qui profite finalement de ces avantages naturels après des achats et accords douteux, au détriment du Népal. Les effets sont considérables, les hôpitaux sont obligés de reporter leurs opérations chirurgicales, les habitants doivent se réorganiser, les entreprises ferment faute de pouvoir répondre aux demandes de leurs clients, car l’alternative aux coupures d’électricité, des générateurs qui fonctionnent au diesel, coûte très cher. Enclavé dans la région de l’Himalaya, comme coincé entre deux géants l’Inde et la Chine, le Népal est en perdition et en retard sur le plan économique et reste un des pays les plus pauvres du monde. De plus, cette fatalité géographique entraîne de nombreux troubles sur le plan politique laissant le pays au milieu d’une lutte d’influences et jamais totalement maître de ses décisions.
Désillusion et déception habitent dorénavant le cœur et l’esprit des Népalais qui découvrent que les principes démocratiques peuvent être menacés, même dans une République. Ceci en évitant l’omnipotence de la loi du plus fort dans l’idéologie révolutionnaire et en diminuant le risque de manipulation par les pays voisins. Malgré tout, il n’est jamais trop tard pour les leaders politiques de rétablir l’ordre en répondant correctement et vite aux questions et attentes de leur peuple et en assumant leurs lourdes responsabilités.