Mexico, le scandale du non-scandale

samedi 23 avril 2005, par Ève GAUTHIER

Alors que nous sommes plongés dans le « téléroman » de la Commission Gomery, un autre scandale à saveur de telenovela secoue la ville de Mexico et le pays tout entier. Accusé d’une faute administrative, le maire de la ville, Andres Manuel López Obrador, surnommé ALMO, fait désormais face à un règlement de compte politique démesuré visant à l’écarter du pouvoir. C’est que le maire de la capitale mexicaine entend bien être candidat pour le Parti de la révolution démocratique (PRD) aux présidentielles de 2006 et son extraordinaire popularité dérange.

L’affaire remonte à l’an dernier alors que l’administration de la ville de Mexico, dont le maire Obrador en est le dirigeant, a fait construire une route d’accès menant à un hôpital. S’en suit une affaire d’expropriation mal exécutée, qui a mené un juge à ordonner l’arrêt des travaux. L’administration de la mairie a toutefois passé outre à l’ordonnance. La chambre des députés s’est alors saisi de l’affaire et a voté, le 7 avril, le desafuero du maire, soit la levée de son immunité, l’exposant ainsi à des poursuites judiciaires pouvant mener à son emprisonnement et au retrait de ses droits civiques. Il ne pourrait alors être candidat pour le Parti de la révolution démocratique (PRD, centre gauche) aux élections présidentielles de 2006.

Le fait d’avoir fait fi de l’ordonnance du juge représente certes une erreur administrative, mais les représailles que subit aujourd’hui le maire sont sans commune mesure avec la faute. « À ce compte là, tous les ministres et le président lui-même y passeraient », soutient Daniel Hieranaux-Nicolas, professeur à l’Université autonome métropolitaine Iztapalapa de Mexico.

En fait, il ne s’agirait ni plus ni moins que d’une stratégie grotesque mise de l’avant parle parti au pouvoir, le Parti de l’action nationale (PAN, droite), du président Vicente Fox, afin d’écarter ce candidat très gênant puisque très populaire, en vue des prochaines présidentielles. De fait, López Obrador est un maire très apprécié. C’est qu’il a adopté des mesures sociales populaires, telles la création de pensions de vieillesse, la distribution de petits déjeuners aux enfants pauvres dans les écoles, ou encore la mise sur pied d’un système de bourses pour les étudiants. « Dans un pays où la famille est très forte, ces politiques plaisent et donnent espoir aux gens », nous confie Felipe de Alba, Mexicain d’origine et assistant de recherche à la Chaire de recherche du Canada sur les dynamiques territoriales de l’UQAM. « Il reprend l’héritage du Parti révolutionnaire institutionnel [PRI, droite conservatrice, qui a été au pouvoir pendant plus de 70 ans] qui n’a plus du tout cette image sociale à la suite du virage néolibéral pris dans les années 1990 lors de l’entrée [du Mexique] dans l’ALÉNA », précise M. Hiernaux. Le maire de la capitale reçoit également l’appui de plusieurs entrepreneurs, car il a su créer des alliances avec ces derniers en vue de réaliser des travaux publics d’envergure - dont la restauration du quartier historique de Mexico - là où d’autres ont échoué avant lui. Toujours selon le professeur de l’Université Iztapalapa, « il projette l’image d’un homme de décision, d’action, qui a de la poigne et qui serait capable de sortir le pays de la crise ».

Même si une certaine portion des députés du PAN et du PRI sont en désaccord avec cette stratégie, tous ont voté pour la levée de l’impunité de López Obrador. De toute évidence, celui-ci est trop menaçant. C’est que le candidat obtient un taux fracassant de popularité dans les sondages, avec 86 % d’intention de votes. En effet, le PAN est en pleine déconfiture alors que ses politiques ne fonctionnent pas : « La création d’emplois promise n’est jamais venue, la crise du Chiapas n’est pas réglée, les nombreuses bourdes politiques du président sur la scène internationale passent très mal », soutient le professeur Hiernaux.

De son côté, la population mexicaine est en vive réaction vis-à-vis de l’évidente intention de « casser » un candidat populaire. Cela est perçu comme une atteinte grave à la démocratie, en plus de démontrer que « le PAN refuse l’alternance politique », explique Daniel Hiernaux. « De mettre ses adversaires politiques en prison est une stratégie campagnarde digne d’un pays de paysans », commente quant à lui, Felipe de Alma. Le Washington Post et le Financial Times de Londres ont aussi décrié ce coup porté à la démocratie.

Dans les jours à venir, le département de justice devra se saisir de la cause et juger de la destitution du maire Obrador. En attendant, sa caution a été étrangement payée, fort probablement afin d’éviter l’image de martyr que provoquerait son emprisonnement et qui « mettrait de la crème sur les tacos du PRD », ironise Daniel Hiernaux. Le centre de la capitale de Mexico, est un district fédéral à lui seul qui représente 8 millions d’habitants. Le district est encerclé par l’État de Mexico, où des élections sont prévues en juillet. « Si le PRD gagne l’État de Mexico, le pays pourrait virer PRD, alors que l’État représente 22 millions de personnes sur 105 », croit Daniel Hiernaux. Mais pour Felipe de Alma, rien n’est moins sûr, car la candidate du PRD dans cet État n’est pas la favorite. Quoi qu’il en soit, selon ces deux analystes, le PAN ne devrait pas remporter les prochaines présidentielles. Reste à voir si le PRI se faufilera au pouvoir ou si le PRD sera mûr pour la présidence. D’ici là, cette telenova politique continuera de captiver le pays.

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