Désireux d’agir contre la misère et l’injustice, un jeune homme convainc sa bande de voler une somme importante à un sénateur corrompu. S’ensuit une cavale à travers les Andes, alors que le jeune groupe est en proie à un conflit éthique. Trouvant refuge au sein d’une communauté d’Aymaras, même le Robin des bois de la bande sera forcé de se remettre en question : est-ce que voler de l’argent volé est juste ? Le magot volé donnera lieu à un conseil communautaire où les Aymaras débattront de l’acceptation ou non de ce « cadeau ». Décriant la violence de la crise politique, économique et sociale qui secoue le pays, le film oppose ceux et celles qui font le choix de la lutte collective - principalement des autochtones et des anciens - à une jeunesse en déroute qui, faute de mieux, se tourne vers la prostitution et le crime.
Dédié à sa compagne décédée en 2003, le film de Jorge Sanjinés a été bien reçu par la critique en général. Mais c’est d’abord aux jeunes Boliviens que le réalisateur a voulu s’adresser. Les jeunes sont les plus vulnérables de la société tout en étant l’espoir du pays, résume le cinéaste. Ce sont les jeunes qui se retrouvent au centre d’un combat éthique, soit celui des valeurs traditionnelles autochtones confrontées aux valeurs individualistes de la consommation nord-américaine. Les jeunes autochtones du film, malgré l’incidence de la pauvreté sur leur qualité de vie, préféreront conserver leur intégrité plutôt que de la vendre à une culture qui les étouffe petit à petit.
En entrevue accordée au journal Alternatives, Sanjines précise que ce film a été monté en numérique afin « de faire la démonstration aux jeunes de la communauté autochtone qu’il est possible de faire de grandes choses avec peu de ressources ». Tout un travail d’adaptation du langage a ainsi été réalisé afin que le film colle à la réalité de ces jeunes et qu’ils se sentent interpellés. « Nous nous sommes engagés à reproduire le langage des jeunes en milieu urbain, à respecter un narratif qui leur est propre et y incorporer des notions et conceptions autochtones. » Ce film a d’abord été fait pour les Boliviens avant d’en faire un film pour l’étranger, ce qui témoigne aussi d’un tournant dans la mission artistique du cinéma bolivien.
Membre d’un groupe de cinéastes qui cherche à faire du cinéma un espace de réflexion pour accompagner le processus de lutte populaire et de construction d’alternatives au modèle bolivien actuel, le film de Sanjines devient ainsi « un instrument d’appui à l’autonomie, à la propriété culturelle de la Bolivie, et de valorisation de la population autochtone ».
Ce type de cinéma cherche donc à récupérer l’histoire nationale et à dénoncer les inégalités que les grands médias de masse ignorent volontairement et que de nombreuses années de dictature ont étouffées. Le cinéma nous permet de « redonner à la société bolivienne la mémoire collective du pays ».
Pour Sanjines, ce film marque une époque, un moment historique qui se traduit par la grande participation citoyenne autour des revendications populaires et la prise du pouvoir par le peuple. Selon lui, les structures sont obsolètes et ne permettent pas de répondre aux demandes de la société pour construire une nouvelle démocratie. La Bolivie est en processus de transformation. « La Bolivie d’avant 2003 n’est pas la même que celle d’après 2003 », dit-il. Maintenant plus que jamais, les conditions sont réunies pour que le pouvoir s’érige véritablement de la base. Autrefois les masses suivaient les leaders politiques. Cette tendance est dorénavant échue. Le processus démocratique se veut révolutionnaire : ce sont les autochtones, les ouvriers, les syndicats qui doivent se battre collectivement. La démission de Sanchez et l’annonce d’élections présidentielles donneront peut-être ce coup d’envoi tant attendu. Une chose demeure certaine, ce film est un bel hommage aux efforts des masses populaires dans leurs quêtes de justice et de paix.