Au cours des derniers mois, à Toronto et à Montréal nous avons fait l’expérience du village global comme jamais auparavant. Depuis janvier, la communauté tamoule (environ 250 000 personnes au Canada d’après certaines sources) a manifesté sans répit pour amener Ottawa à agir afin d’empêcher le massacre de civils tamouls dans les dernières étapes de la guerre civile au Sri Lanka.
De toute ma vie de militante, je n’ai jamais vu des manifestations de rues aussi longues que celles qui ont eu lieu à Toronto depuis quelques mois. La moitié de la communauté tamoule est descendue dans la rue, pour former une première chaîne humaine le long du trottoir sur Union Station au centre-ville jusqu’à la rue Bloor, puis une seconde, encore plus longue, en face du consulat sri lankais. Malgré l’ampleur de ces manifestations, la couverture des grands médias ne s’est concentrée que sur les problèmes de circulation routière qu’elles ont occasionnés.
La communauté tamoule a alors décidé d’en faire davantage. Elle s’est assise dans la rue en face du consulat américain durant quatre jours. En plus du fait que la police leur permettait de manifester dans la mesure où ils laissaient la voie libre pour les urgences, il est magnifique de constater la composition du groupe qui participait au sit-in. Bien que des jeunes de deuxième génération d’immigrants menaient la manifestation, c’était des femmes et des enfants qui formaient le coeur du groupe. Je n’ai jamais vu autant d’enfants engagés dans une manifestation, et la plupart comprenaient exactement pourquoi ils se trouvaient là. Cette manifestation a été si longue, qu’un des leaders de la communauté tamoule m’a dit que ce lieu était devenu un important centre d’interactions sociales, surtout pour les jeunes.
Ce sit-in sur l’avenue University a commencé à irriter les Torontois qui se plaignaient d’être retardés pour aller travailler. J’ai été consterné d’entendre des commentaires ouvertement racistes lorsque j’ai participé à une émission de télé locale pour défendre les protestataires. Malgré tout le brouhaha, les politiciens et le gouvernement demeuraient muets.
Puis, le dimanche 10 mai, dans un coup d’éclat, environ 2 000 Tamouls envahirent une des autoroutes les plus achalandées de Toronto et la bloquèrent en y restant assis durant plusieurs heures. Durant cette fin de semaine, des nouvelles concernant le massacre de civils tamouls ont été diffusées. Frustrés par le silence d’Ottawa, malgré des manifestations d’une ampleur jamais vue au pays, et désespérés par le sort de leurs proches au Sri Lanka, les militants tamouls avaient posé un geste de désobéissance civile original.
La lutte des Tamouls occupa finalement la une de tous les médias au pays, malgré la grogne des automobilistes qui revenaient à Toronto à la fin du week-end. Le chef libéral Michael Ignatieff a alors accepté de soulever la question sri lankaise au parlement, et les Tamouls ont pacifiquement, comme cela a toujours été le cas, quitté l’autoroute pour poursuivre leur manifestation en face du consulat américain, sur le trottoir cette fois.
Cette occupation d’une autoroute a entraîné de sérieuses frustrations, mais elle a permis de faire bouger les choses en plaçant la cause des Tamouls au centre de l’actualité. La communauté tamoule a été brillante dans ses efforts de mobilisation, mais elle a été moins efficace pour se trouver des alliés. L’appui à leur cause a souffert de la confusion causée par le rôle des Tigres tamouls, qui ont commis des atrocités. Le discours sur la guerre contre le terrorisme a permis à des gouvernements comme le nôtre d’ignorer le massacre de civils par des États répressifs au nom de la lutte contre le terrorisme. Malgré certaines réticences envers les Tigres, il est impératif de séparer la question des droits humains des problématiques politiques.
L’existence du village global est maintenant beaucoup plus palpable pour les Canadiens. La solidarité avec diverses communautés vivant dans notre ville permet non seulement de défendre les droits humains, mais aussi de garantir que ces communautés seront avec nous pour les batailles à venir au Canada. La communauté tamoule a réalisé que ses vrais alliés se trouvent dans le mouvement social et dans les syndicats, et ces groupes ont découvert une nouvelle forme de militantisme dans leur propre cour.