Les marxistes italiens Antonio Negri et Guiseppe Cocco proposent une lecture fort intéressante de la situation qui prévaut actuellement en Amérique latine. Reprenant pour l’essentiel les thèses développées par Negri et son confrère étasunien Michael Hardt dans Empire et Multitude : Guerre et démocratie à l’âge de l’Empire, les deux auteurs prolongent cette approche en s’appuyant sur les changements politiques qui sont survenus au cours des dernières années sur le continent latino américain. À partir notamment des expériences argentines et brésiliennes, ils démontrent comment cette recomposition politique s’inscrit dans la lutte au projet néolibéral de mondialisation et ce, au cœur même de l’Empire.
Pour Negri et Cocco, ce n’est pas le vieux projet de développement nationaliste et antiimpérialiste qui caractérise le virage à gauche de l’Amérique latine, mais plutôt l’interdépendance entre les pays, cette volonté d’interaction par l’intégration politique et économique. Bien que ces projets soient encore à l’état embryonnaire , les « gauches » seraient en train de construire une nouvelle forme de gouvernance démocratique à l’échelle du continent. Dépassant ainsi le cadre national, cette interdépendance serait le fruit des luttes sociales et politiques inscrites à l’intérieur de chaque pays. Faisant l’apologie de ces nouvelles formes de mobilisation, les deux compères soulignent que les victoires de la « gauche » ont été précédées par la « multitude » agissante dans les mouvements populaires et indigènes.
Les auteurs nous laissent parfois perplexes devant cette volonté un peu anarchisante « d’en finir avec les États nations » et de « réinventer les institutions au-delà de l’État », mais il ne fait pas de doute que la contribution au débat est encore une fois à la hauteur. Autant Multitude pouvait laisser le lecteur sur son appétit, autant ce nouvel essai est riche et stimulant, car il se situe en ligne droite avec la volonté de sortir des sentiers battus par une gauche politique passéiste qui n’a pas encore réalisé que le monde a changé. Résolument antidogmatique sur le plan idéologique et porté essentiellement par le renouvellement des pratiques de lutte, Global offre ainsi au lecteur un cadre d’analyse qui saura certainement apporter un éclairage important aux débats qui traversent la mouvance altermondialiste.