Depuis le 1er mai, les Burundais ont un nouveau président hutu. Une étape importante d’un difficile processus de paix vient ainsi d’être franchie. Le petit État de la région des Grands Lacs africains, ravagé par une décennie de guerre civile, tente tant bien que mal de réconcilier le pays avec lui-même.
Conformément à l’accord de paix d’Arusha, signé en Tanzanie en août 2000, le président tutsi Pierre Buyoya a cédé sa place au Hutu Dominitien Ndayizeye. Pour le Burundi, classé troisième pays le plus pauvre du monde par les Nations unies, c’est la première fois depuis 1996 que l’ethnie majoritaire (à 85 %) occupe la présidence.
Le Burundi a basculé dans une guerre civile entre l’armée, à dominance tutsie, et la rébellion, à dominance hutue, après la passation de pouvoir entre Pierre Buyoya, un militaire tutsi, et Melchior Ndadaye, un Hutu arrivé au sommet de l’État par voie démocratique en 1993. Une partie de l’armée n’a pas accepté cette transition et Ndadaye a été assasiné. Buyoya est revenu au pouvoir par un coup d’État en 1996 et c’est lui qui vient de nouveau céder sa place à Ndayizeye. La guerre civile, qui n’est pas terminée, a fait environ 300 000 morts.
Un nouveau départ
Pour éviter que l’histoire ne se répète, cette nouvelle alternance politique, initiée entre autres, par l’ex-président sud-africain Nelson Mandela, se déroule sous haute surveillance. L’Union africaine s’est engagée à déployer à Bujumbura une force de maintien de la paix qui devrait compter environ 3 000 hommes.
Mais les combat menés par des rebelles hutus des Forces pour la défense de la démocratie (FDD), le plus important mouvement de rébellion, pourrait bien hypothéquer cette tentative de paix. Certaines factions du FDD sont exclues du processus puiqu’elles avaient refusé de signer l’accord d’Arusha. Parmi leurs revendications, la réforme des structures militaires - dominées par les Tutsis - élément central d’un accord de cessez-le-feu signé le 2 décembre 2002 par le FDD et le gouvernement de transition, mais qui n’a jamais été respecté jusqu’à ce jour. Les hostilités se poursuivent maintenant dans plusieurs régions.
À la fin avril, donc quelques jours avant la passation des pouvoirs, le FDD a bombardé la capitale. « Ils ont voulu envoyer un message clair : "Vous ne pourrez y arriver sans nous." », affirme Eugène Nindorera, un des fondateurs de la Ligue des droits de l’homme Iteka, qui était récemment de passage à Montréal. Le nouveau président Ndayizeye devra négocier avec le FDD mais n’aura qu’une marge de manœuvre très limitée puisqu’il est notamment confiné à respecter le contenu de l’accord d’Arusha.
Plusieurs défis attendent donc le nouveau chef d’État, à commencer par la tenue d’élections prévues au cours des 18 prochains mois. Une forte compétition est à prévoir entre le Front pour la démocratie au Burundi, le parti du nouveau président Ndayizeye, et le Congrès national pour la défense de la démocratie, l’aile politique du FDD. Mais il faudra d’abord s’entendre sur un système électoral : « Le principe un homme, une voix ne ferait qu’avantager la majorité hutue, il faut donc faire des compromis pour ne pas que la minorité tutsie ne soit écartée des institutions », explique M. Nindorera.
Un autre défi majeur pour le nouveau gouvernement est l’épineuse question de l’impunité. Après 10 ans de guerre civile, le défi est d’en arriver à une justice incontournable, pour assurer une paix durable. Comment juger ? Qui pardonner ? Plusieurs possibilités sont envisagées, dont une commission vérité-réconciliation basée sur le modèle sud-africain.
Dans les chaumières, les Burundais retiennent leur souffle et sont prêts à donner une chance à cette alternane politique. « Les gens se disent que ça ne pourra pas être pire que Buyoya, rapporte Nindorera, mais les Burundais ne se sont pas encore appropriés l’accord, ils restent extérieurs à tout cela. Même chose pour la société civile, qui n’est pas assez organisée pour jouer le rôle qu’elle devrait jouer dans ce processus. »
Patience
Pour surmonter les difficultés et parvenir à gérer une situation politique tendue, M. Nindorera exhorte la population à faire preuve de patience : « Je crois que c’est un processus de paix viable, mais qui ne peut qu’être long. Il reste beaucoup à faire. » Il est cependant optimiste : « Pour quelqu’un qui a suivi de près le processus, c’est le jour et la nuit comparé à la situation il y a 10, ou même cinq ans. Du côté des jeunes, il y a une véritable volonté de changer cette classe politique. » Les prochains mois seront déterminants pour ce qui pourrait constituer une étape importante d’un véritable processus de paix.