Une étude commandée par la Fondation David Suzuki en collaboration avec l’Université St. Francis Xavier en Nouvelle-Écosse a révélé mercredi matin que plus de 100 000 tonnes de méthane provenant de puits de pétrole et de gaz s’échappent annuellement dans l’atmosphère sur le territoire britano-colombien. C’est au moins 2,5 fois plus que les estimations faites par le gouvernement libéral de Christy Clark. Les émissions comptabilisées par les chercheurs émanent autant de puits actifs que de puits abandonnés.
La recherche, menée en 2015 et 2016, a permis aux scientifiques de l’université et de la Fondation de parcourir plus de 8 000 km et d’examiner plus de 1 600 plateformes d’exploitation de la région Montney en Colombie-Britannique. Cette région représente 55% de la production gazière de la province. 80% de son extraction gazière se fait par fracturation hydraulique. Les données révélées par la Fondation David Suzuki augmentent de façon importante l’empreinte carbone de la Colombie-Britannique, et par conséquent, du Canada.
Marc Durand n’est pas surpris par les résultats de l’étude. Dans un échange courriel avec le docteur-ingénieur en géologie appliquée, il écrit : « les émissions de l’industrie en méthane sont sous-estimées depuis longtemps pour plusieurs raisons ». D’abord, les gouvernements provinciaux et fédéral n’inspectent qu’une distance de quelques mètres autour des têtes de forage sur certains sites. « Les puits actifs sont inspectés, alors que pour les puits abandonnés, parfois on ignore même leur nombre et leur position exacte, poursuit-il. Il n’y a pas que les puits qui fuient. Des fuites par failles ou fracture peuvent rejoindre les couches soumises à la fracturation hydraulique [et] pour cela, il n’y a eu que peu de relevés ».
Devant ce constat, difficile de croire que la quantité de méthane dans l’atmosphère est mieux évaluée ailleurs au pays. La Fondation David Suzuki croit qu’il faut regarder le problème autant à court qu’à long terme. Sur une période de 20 ans, le méthane est un gaz à effet de serre 84 fois plus puissant que le dioxyde de carbone. Son élimination devient l’une des manières les moins coûteuses de lutter contre les changements climatiques, peut-on lire dans le communiqué de presse de la Fondation.
Marc Durand abonde dans le même sens en ajoutant que la période de 100 ans « est une façon de minimiser l’impact réel des fuites de méthane dans les divers rapports, notamment ceux dont la publication visait à promouvoir le potentiel d’exploitation des shales au Québec ».
Fin du moratoire au Québec, début de la résistance
Le moratoire sur l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste au Québec, mis en place en 2012 par Martine Ouellet, alors ministre des Ressources naturelles, doit prendre fin en 2018. Le premier ministre Philippe Couillard a dit en septembre dernier qu’« il n’y aura pas » de fracturation hydraulique dans la vallée du Saint-Laurent. Pourtant, l’adoption récente du projet de loi 106 sous bâillon en décembre dernier n’empêchera pas l’industrie de forer par fracturation hydraulique. Cette nouvelle loi qui s’intitule Loi concernant la mise en œuvre de la Politique énergétique 2030 et modifiant diverses dispositions législatives définit également la première Loi sur les hydrocarbures de l’histoire du Québec et crée par le fait même Transition énergétique Québec.
Questerre, une compagnie albertaine d’acquisition, d’exploration et de développement de projets pétroliers et gaziers, annonçait d’ailleurs en début d’année vouloir cibler les régions de Lotbinière et Bécancour, faibles en densité de population, pour ses projets-pilotes d’exploitation de gaz de schiste.
Entre temps, la mobilisation citoyenne reprend et s’organise. Les comités opposés aux gaz de schiste tiennent des séances d’information auprès des citoyens et de certaines MRC et la campagne d’information nationale Vous ne passerez pas ! a été lancé le 23 avril à Bécancour à l’occasion du Jour de la Terre. L’objectif est « de bloquer tous les projets d’hydrocarbures », dont « les projets d’exploration et d’exploitation de gaz et de pétrole de schiste en territoire québécois », selon le site web.
Mais plusieurs questions demeurent en suspens. Permettre la fracturation hydraulique sans faire un suivi adéquat des émissions fugitives de méthane faussera-t-il les résultats quant aux émissions de GES du Québec ? Quel impact aura les révélations de l’étude dévoilée le 26 avril sur les plans de lutte aux changements climatiques des gouvernements ? Les industries étaient-elles au courant de l’importance des fuites sur leurs puits ?
Réductions et règlementations
En 2015, le gouvernement Trudeau s’est engagé à réduire ses émissions de GES de 30% par rapport au niveau de 2005, d’ici 2030. Le plus récent rapport fédéral estime que le Canada émet 721 mégatonnes (Mt) de GES par année et que les émissions devraient atteindre 523 Mt de GES dans 13 ans.
Concernant les émissions de méthane, le premier ministre canadien s’est joint à l’initiative états-unienne en mars 2016 de réduire de 40 à 45% les émissions de méthane provenant des secteurs pétrolier et gazier sous le seuil de 2012, d’ici 2025. En 2015, les émissions de méthane comptaient pour 14% (102 Mt) des émissions totales du Canada. Malgré l’arrivée de Donald Trump à la présidence des États-Unis, le Canada conserve ses objectifs.
Une nouvelle règlementation sur le méthane devait être dévoilée sous peu, mais le gouvernement fédéral confirmait en fin de semaine le report de sa mise en œuvre à 2020. L’attachée de presse de la ministre d’Environnement et du Changement climatique, Marie-Pascale Des Rosiers, assure que tout sera en place d’ici 2023 et soutient, dans un courriel, que « ce changement à la date de mise en œuvre donnera plus de temps à l’industrie pour apporter les changements à leurs opérations et le capital nécessaire à leur budget. Repousser la date donnera aussi aux provinces le temps de finaliser leurs règlementations provinciales de méthane pour ensuite discuter de l’équivalence ».