Entre 1989 et 1996, au Libéria, un conflit oppose les forces rebelles d’un certain Charles Taylor et celles du gouvernement en place. En 1997, Taylor est porté au pouvoir. Débutent alors des hostilités avec des groupes d’opposition, les Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie (LURD) et le Mouvement pour la démocratie au Libéria (MODEL). Ce sont les spécificités du Libéria et de ses conflits qui ont suscité l’intérêt de François Margolin : « D’une part, ces affrontements n’ont pas de couverture idéologique, ni même d’origine ethnique. Le Libéria n’est pas une ancienne colonie ; c’est un pays créé de toutes pièces pour le retour des esclaves en sol africain. Un pays qui a été longtemps présenté comme un idéal. » Dans cet idéal dévasté, les enfants soldats s’affrontent. Selon Amnistie internationale, le Libéria en compterait quelque 21 000.

François Margolin a vu et filmé ces enfants armés, vivant en bandes plus ou moins soumises à un chef. Il s’est fait intercepté par eux, a mis sa sécurité en danger pour les rencontrer. Le réalisateur voulait aller au-delà de l’image de victimes qu’ils projettent : « Je voulais laisser aux enfants soldats le temps de s’exprimer, de raconter leurs histoires terribles. Parce que souvent, les enfants ne sont pas seulement victimes, mais bourreaux, ce qui est encore plus terrible. » Pour ne pas tomber dans le piège du sensationnalisme, il a accordé un soin particulier à la représentation de l’horreur : « Quand on est cinéaste, il importe de savoir comment représenter le message. Je voulais entendre leurs histoires. Pas les montrer. » Des histoires d’adolescents, âgés entre 11 et 18 ans, souvent battus, maltraités, de jeunes filles devenues - habituellement à la suite d’un viol - femmes d’enfants soldats, combattantes, cuisinières ou porteuses de munition. Il réalise que de victimes, « les enfants sont devenus bourreaux. Il faut faire en sorte qu’ils redeviennent de vrais enfants et éviter que ça se reproduise. »
La réinsertion, un espoir
Un rapport de l’organisme Human Rights Watch, paru en février, soutient que la paix au Libéria repose en grande partie sur la réinsertion des enfants soldats. À la fin de janvier 2004, les Nations unies ont amorcé un programme de démobilisation : en échange d’une arme, un jeune reçoit 75 dollars. S’il complète un programme de réinsertion de six semaines, il touchera 225 dollars supplémentaires. Trois organisations non gouvernementales (ONG) libériennes, financées par l’UNICEF, s’occupent de centres de réinsertion, près de la capitale, Morovia. Le boulot des éducateurs consiste à faire parler les enfants, pour les « désintoxiquer des meurtres et de la guerre », à les faire jouer et à leur donner des cours. François Margolin s’est installé dans ces centres et s’est entretenu avec des enfants qui jusque là n’avaient jamais parlé de leur rôle dans les affrontements. Cette parole devenue possible, en face à face, est parfois l’amorce d’une prise de conscience. Porteuse d’espoir, la réinsertion ? « Derrière la carapace du tueur, on retrouve les sentiments de l’enfance et c’est ce qui constitue le plus grand espoir. Après tout, ils sont toujours des enfants. »
Alexandra Gilbert