Nicaragua

Les paysans n’arrivent plus à se nourrir

samedi 1er juin 2002, par Isabelle OUELLET

Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 1,6 million de personnes souffrent d’insécurité alimentaire en Amérique centrale. Au Nicaragua, El Nino (1997), l’ouragan Mitch (1998) et trois autres sécheresses consécutives ont gravement affecté les rendements agricoles de milliers de campesinos qui se retrouvent aujourd’hui sans nourriture et sans semence.

Selon la FAO, 40 000 familles nicaraguayennes auraient déjà épuisé leurs réserves alimentaires et seraient dans une situation critique. Certains survivent temporairement grâce au programme Alimentacion por trabajo du Programme alimentaire mondial (PAM). D’autres cueillent le café pour 20 córdobas par jour (2 dollars) ou émigrent au Costa Rica et au Salvador. Les femmes vont travailler en ville comme domestique tandis que les enfants désertent l’école, trop affamés pour étudier.

Dans Madriz, une région regroupant 11 % des cas de dénutrition au niveau national (31 %) et où la pauvreté touche 90 % de la population rurale, la dernière sécheresse a complètement anéanti les récoltes de maïs et de fèves.
Évaluées à 70 %, les pertes seront minimisées par l’ancien gouvernement d’Arnoldo Aleman, aujourd’hui accusé de corruption. En août 2001, lors d’une rencontre interministérielle au Salvador, le ministre de l’Agriculture, Genaro Munoz, a nié l’existence d’une famine au Nicaragua, faisant bondir de rage les ONG internationales, telle Action contre la Faim (ACF), un organisme européen : « C’est complètement faux ! La sécheresse était palpable dans Madriz et la première récolte fut nulle, presque à 100 %. Les gens n’ont plus de réserve alimentaire », affirme René Larios, ingénieur agricole.

Crise récurrente

Ces sécheresses consécutives ont un effet dévastateur sur l’économie et la santé des cultivateurs. En effet, récoltés lors de la primera (première récolte), le maïs et les fèves composent l’essentiel de la diète des campesinos et fournissent les semences pour la postera (deuxième récolte).
Véronica Miranda, de la communauté Los Canales, avait reçu des semences d’ACF. Mais la pluie n’étant pas arrivée à temps, elle et ses six enfants n’ont rien récolté. « Tout a séché. Nous n’avons plus d’espoir parce que nous dépendons uniquement des organismes qui nous aident », avoue-t-elle.

Le problème, c’est que la récolte précédente, qui devait permettre d’alimenter les familles jusqu’en juin, fut également affectée par la sécheresse et n’a pas permis d’amasser les réserves et les semences nécessaires pour tenir jusqu’à la prochaine récolte. Sans emploi, sans nourriture ni surplus à vendre, plusieurs ont contracté des emprunts afin d’acheter de quoi semer et subsister. Mais en raison des nouvelles pertes, ils sont incapables aujourd’hui de les rembourser.

Martin Carraso vit aussi à Los Canales. Quand on lui demande comment il survit, il hausse les épaules, découragé : « Plusieurs n’ont même pas de feu pour cuisiner. Et que veux-tu cuisiner de toutes façons ? Si tu vas de maison en maison, tu verras qu’il n’y a pas d’alimentation ici... »

Le principal objectif d’ACF est d’aider les populations souffrant d’insécurité alimentaire. « Si les gens n’ont pas la possibilité ou la capacité de produire ou d’obtenir des aliments quand ils le veulent, on parle d’insécurité alimentaire » affirme René Larios.

Dans Madriz et Nueva Segovia, 47 % et 31,8 % des enfants de moins de 5 ans souffrent de dénutrition chronique. C’est pourquoi 22 comedores infantiles (centres) y ont été construits. Sur place, une nutritionniste évalue trimestriellement la condition nutritive, la taille et le poids des enfants qui viennent manger chaque matin.

Au début, le travail d’ACF se limitait à un projet temporaire d’eau et d’assainissement. Puis Mitch est passé et ils sont restés. Pour contrer le manque d’eau, ils ont développé plusieurs projets d’irrigation, de plantations d’arbres fruitiers, de construction de puits et d’aqueducs : « Nous croyons que l’eau, c’est la vie, que c’est une source de développement. Si la population n’a pas accès à l’eau potable, elle sera malade et ne pourra survivre », explique l’ingénieur d’ACF.

Crise de paternalisme

Consciente que l’assistance alimentaire ne peut résoudre une crise jugée structurelle, ACF tente de promouvoir des alternatives plus durables comme la prévention, le reboisement, la diversification des sources de revenu et d’alimentation ou les cultures non traditionnelles, plus appropriées au climat quasi désertique de la région. « Le principal problème, c’est la coutume de la déforestation. Pour qu’il y ait de la pluie, il faut qu’il y ait de la végétation... »

Pour briser le cycle de dépendance et sensibiliser les autorités, ACF a formé un comité sur l’environnement dans la municipalité de Somoto. Aussi, un observatoire sur la sécurité alimentaire permettra bientôt de mieux analyser la vulnérabilité des populations affectées par les sécheresses au Nicaragua, au Guatemala et au Honduras.


Reportage réalisé au Nicaragua.

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