Les changements climatiques, un défi de tous les jours

jeudi 1er juin 2006, par Batiste W. FOISY

Pour les résidents du Grand Nord, les changements climatiques sont plus qu’une menace théorique - c’est un problème quotidien.

YELLOWKNIFE - Quand un grizzly a été abattu derrière la vieille mine Con, en novembre 2004, ça a créé une commotion à Yellowknife. Ce n’est pas rare que des bêtes sauvages rôdent dans la capitale des Territoires du Nord-Ouest, mais des grizzlys, il n’y en a pas. Leur aire de distribution se trouve plus à l’ouest, dans la vallée de la Nahanni ou plus au nord, dans la toundra.

« Ça ne s’est jamais vu de mémoire d’homme », a attesté au radiojournal de CBC North un aîné de 85 ans, de la communauté dénée de Dettah.
Selon le rapport des agents de la faune, l’ours était « émacié et malade ». Il avait erré en vain sans faire ses graisses, pour terminer ses jours disséqué dans un labo du gouvernement. Dix-sept mois plus tard, un autre grizzly a été tué à Yellowknife, celui-là à côté de l’aéroport et en plein cœur de l’hiver. En février il n’hibernait pas ! ; il terrorisait les pêcheurs sur glace à 700 kilomètres de chez lui.

D’après la biologiste Tracy Hillis, du ministère de l’Environnement et des Ressources naturelles du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, il est trop tôt pour déterminer si ces incidents s’inscrivent dans une tendance plus large de migration des espèces, ou encore s’ils sont liés aux changements climatiques. « Mais ça fait beaucoup d’exceptions en peu de temps ! », convient-elle avant d’ajouter que des modifications dans les migrations des animaux sont observées un peu partout dans le Nord canadien. Ainsi, le gouvernement du Yukon vient tout juste de modifier sa loi de la faune pour y introduire des règles sur la chasse au cerf, une espèce qu’on ne retrouvait pas dans le territoire il y a cinq ans.
Dans le Nord, où la culture des populations locales est intimement liée au territoire, de tels changements bouleversent la société. Le cas du caribou soulève particulièrement les passions, car il est la base de l’alimentation des Dénés. L’espèce est présentement en déclin aux Territoires du Nord-Ouest et, selon Tracy Hillis, les changements climatiques comptent parmi les facteurs qui y contribuent. Les recensements de 2005 ont indiqué une diminution générale du nombre de bêtes de 35 % par rapport aux comptes de 1993. Ce sont 480 000 caribous qui manquent à l’appel.

La chef de la Nation dénée, Noeline Villebrun, mettait en garde les autorités en novembre dernier : « Ce dossier aura un impact sur tous les groupes autochtones des Territoires du Nord-Ouest qui dépendent du caribou pour la chasse traditionnelle ». L’organisation conteste d’ailleurs la récente décision du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest d’abaisser les quotas de chasse.

Fonte du pergélisol

Au delà de l’impact sur la faune, les changements climatiques posent des défis humains directs dans les communautés. Tuktoyatuk souffre particulièrement de ses effets. Située sur la rive de la mer de Beaufort, la communauté inuvialuite subit le double assaut de la fonte du pergélisol et de l’élévation du niveau de la mer. Il en résulte une forte érosion qui provoque des glissements de terrain graves. Plusieurs immeubles de la communauté ont dû être évacués, dont l’école primaire. Selon l’Arctic Climate Impact Assesment, un document signé par plus de 300 chercheurs de partout dans le monde et qui fait figure de référence en la matière, Tuktoyaktuk pourrait être entièrement rayée de la carte d’ici une cinquantaine d’années.

La fonte du pergélisol affecte aussi la ville pétrolière de Norman Wells, près du Grand lac de l’Ours. Selon l’ingénieur géologue de Ressources naturelles Canada, Réjean Couture, qui a effectué une étude sur la fonte du pergélisol à Norman Wells à la fin des années 1990, le déplacement de la couche supérieur de pergélisol a sérieusement endommagé certains utilidors de la municipalité. Curiosité nordique, les utilidors sont des conduites d’eau aériennes isolées qui relient entre elles les maisons sur pilotis dans les communautés dont le sol est gelé en permanence. Sans elles, on ne peut pas prendre une douche à Norman Wells.

Couture estime que, au nord du soixantième parallèle, à peu près toutes les constructions qui ont plus de dix ans ne sont pas prêtes pour la fonte du pergélisol. « Il y a nettement un changement d’attitude chez les ingénieurs et les constructeurs, note-t-il. Mais il y a quelques années encore on prenait le pergélisol pour acquis. »

D’après lui, un des plus grand risque est le dommage que pourraient subir les voies de communications. « Faites attention aux routes et aux pistes d’atterrissage, dit-il. Il faut faire plus d’opération de maintenance. »

De plus en plus isolées

La plupart des communautés des Territoires du Nord-Ouest ne sont pas reliées au réseau routier. C’est seulement en hiver, quand les « routes de glace » sont ouvertes, que des endroits comme Wekweeti ou Colville Lake deviennent accessibles. Les camions s’y pressent alors pour apporter le ravitaillement annuel de farine ou d’huile à chauffage. Mais avec le réchauffement climatique, ce système connaît des ratés. Le dernier hiver, entre autres, a été exceptionnellement chaud et la saison des routes de glace a été écourtée de plusieurs semaines. À Wekweeti, la route n’est demeuré carrossable que durant trois semaines et demie.

C’est cependant l’état de la route de glace Tibbitt-Contwoyto qui a fait le plus jaser. Cette voie, qui relie Yellowknife aux mines de diamants de la région du Lac de Gras, a fermé presque un mois plus tôt que prévu cette année. Des dizaines de trains routiers remplis d’essence, de machinerie lourde et de pièces d’équipement n’ont pas pu se rendre à destination. Les charges ont dû être acheminées par hélicoptère, faisant ainsi exploser les coûts de production. Le gouvernement territorial envisage depuis ce temps la construction d’une route quatre saisons.

Comme le notait à juste titre la ministre de l’Environnement, Rona Ambrose, lors de son passage controversé à Bonn : « Dans la région arctique du Canada, les changements constatés par la communauté inuite, notamment, le dégel du pergélisol, l’évolution des glaces marines et l’arrivée de nouvelles espèces migratoires, nous obligent à prendre des mesures d’adaptation ».

Cependant, les mesures préconisées par le gouvernement canadien ne semblent pas comprendre l’appui des groupes qui oeuvrent avec les communautés du Nord pour les aider à mieux vivre les changements climatiques. L’ONG Arctic Energy Alliance, qui offre aux communautés éloignées des Territoires du Nord-Ouest des moyens pour réduire leur dépendance aux énergies fossiles, a vu son budget fondre de plus de 40 % depuis l’arrivée au pouvoir des conservateurs.


L’auteur est journaliste pour L’Aquilon, hebdomadaire francophone publié dans les Territoires du Nord-Ouest.

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