Les États-Unis, l’ami du Pakistan ?

jeudi 30 octobre 2008, par Feroz Mehdi

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Le dicton veut que l’ennemi d’un ennemi soit un ami, et que l’ami d’un ennemi soit un ennemi. Tandis que les talibans du Pakistan et de l’Afghanistan suivent ce précepte, les États-Unis ne le font pas.

Même si l’administration Bush continue de dire que le Pakistan est un allié dans sa guerre contre le terrorisme, ses plus récentes actions suggèrent le contraire. Ses attaques unilatérales dans les territoires pakistanais près de la frontière afghane coûtent la vie à des centaines de civils, ce qui met le gouvernement pakistanais dans l’embarras. Une frappe aérienne américaine sur une école de la province de la Frontière-du-Nord-Ouest a coûté la vie à huit élèves le 23 octobre. Auparavant, le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, avait affirmé que les États-Unis ont le droit d’agir contre des terroristes au Pakistan, et que le nouveau gouvernement civil à Islamabad doit l’accepter.

L’ex-gouvernement de Pervez Moucharraf ainsi que le présent gouvernement pakistanais soutiennent que la lutte contre les talibans dans ses châteaux forts de l’ouest du pays progresse. Malgré tout, les Américains ont considérablement accru leurs attaques unilatérales dans ces régions bordant l’Afghanistan. La hausse du nombre de victimes civiles causées par ces opérations suscite l’indignation de l’opinion publique pakistanaise. En réponse à ce mécontentement, le chef des forces armées, le général Kayani, a dénoncé ces attaques. Les militaires ont même soutenu avoir effectué des tirs de semonce vers des hélicoptères américains violant l’espace aérien pakistanais.

Les États-Unis et le Pakistan affirment tous deux avoir un ennemi commun : les talibans. Chaque jour, les journaux pakistanais rapportent les pertes subies par les talibans aux prises avec l’armée pakistanaise et ils mentionnent la mort de civils lors d’attaques américaines sur le territoire pakistanais.

Qu’a dit le nouveau président élu du Pakistan à propos de ces civils tués par les États-Unis ? Lors d’un récent passage à New York, Asif Zardari a affirmé que «  les incursions américaines sont contreproductives et n’aident aucunement à rallier la population. Nous faisons tous des erreurs dans cette guerre et nous sommes toujours prêts à les corriger ».

« Pourquoi les États-Unis ne laissent-ils pas le Pakistan faire sa propre guerre contre les insurgés islamiques ? », écrit Zaffar Abbas, l’éditeur du très respecté quotidien pakistanais anglophone Dawn. « Les États-Unis ont effectué un changement de cap important par rapport au Pakistan dans la façon de combattre le terrorisme dans les régions tribales de l’ouest du pays. Contrairement à ce qui se faisait auparavant, ils ont arrêté d’informer le Pakistan concernant les frappes visant Al-Qaïda ou les talibans », dit-il. Selon Zaffar Abbas, les analystes en matière de sécurité affirment que cette approche aura de graves conséquences à long terme pour combattre les insurgés islamiques, aussi bien au Pakistan qu’en Afghanistan.
Les attaques militaires au Pakistan sont à la hausse. Les contre-attaques des talibans aussi. Après l’explosion d’une bombe à l’hôtel Marriott à Islamabad le 20 septembre, qui a fait une soixantaine de victimes, deux grands quotidiens pakistanais comme Dawn et Daily News ont fourni des pistes pour expliquer l’attaque. Une version est que la bombe visait le président pakistanais et des hauts gradés de l’armée qui devaient se rendre à l’hôtel. D’autres mentionnent que des activités américaines secrètes avaient lieu et que des Marines étaient visés. Pour les talibans, ces différentes versions n’ont pas d’importance. Pour eux, les États-Unis sont l’ennemi et l’ami de leur ennemi, le Pakistan, est leur ennemi.

Les médias de la planète ont parlé de cet attentat, mais la perte de civils sous les bombes n’est pas rapportée. Pour l’essayiste pakistanais Tariq Ali, « alors que le chagrin est immense pour les victimes du Marriott, certains se demandent si les vies de ceux abattus par des drones ou des missiles américains valent moins. Dans les récentes semaines, au moins une centaine de personnes ont été ainsi tuées. Aucune indignation ou couverture médiatique pour eux ».

Alors, s’agit-il d’un changement de tactique par les États-Unis par rapport au Pakistan comme le mentionne Zaffar Abbas ? Ou est-ce la même stratégie, mais avec une extension de la guerre globale, et donc une expansion de la guerre en Afghanistan ? Tariq Ali écrit : « L’expansion de la guerre est due à la désastreuse occupation de l’Afghanistan par l’administration Bush. Il est évident que le régime du président afghan Hamid Karzaï devient de plus en plus isolé. Les talibans se rapprochent de Kaboul. Comme le veut un vieux réflexe impérial : dans le doute, une escalade du conflit est préférable. Ces frappes au Pakistan représentent – comme les décisions du président Nixon et d’Henry Kissinger de bombarder et d’envahir le Cambodge – une tentative désespérée de sauvegarder une guerre qui n’a jamais été bonne, mais qui va maintenant vraiment mal ».

En ce qui concerne la guerre préventive sans fin menée par les États-Unis contre le terrorisme, le cofondateur du Alternatives Information Centre, Michel Warschawski, écrit : « D’un point de vue éthique, l’Histoire ne fait pas du surplace : si elle ne tend pas vers moins d’oppression et davantage de justice, elle va vers moins de droits et plus de barbarie… Il semble, malgré tout, que dans la première décennie du troisième millénaire, la loi de la jungle soit en train de prendre l’avance. »

À propos de Feroz Mehdi

Secrétaire général, Alternatives International *

Feroz Mehdi est membre fondateur d’Alternatives et travaille depuis plusieurs années aux projets lliés à la région de l’Asie du sud. Il a aussi travaillé aux niveau des programmes d’éducation au Québec et au Canada, organisant notamment des conférences et contribuant à la publication de bulletins d’actualité et de documents d’analyses et d’information.

Depuis 2007, Feroz est Secrétaire général de la fédération Alternatives International dont le secrétariat est basé à Montréal. Alternatives International compte 9 membres représentant le Canada, la France, le Brésil, Israël, la Palestine, l’Afrique du sud, le Niger, l’Inde et le Maroc.

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