Billet

Lendemain de veille

vendredi 27 juin 2008, par Ariane ÉMOND

En ce lendemain de fête nationale, le clivage entre les perceptions des plus jeunes et celles de leurs aînés de souche face à la nouvelle société québécoise qui se tricote, sous fond d’immigration et de mondialisation, me préoccupe. Un sérieux choc des idées est en cours.

Il y a de la confiance, de l’élan, souvent un désir d’engagement renouvelé dans l’attitude des jeunes générations quand elles évaluent la trajectoire de leur société, le pluralisme de sa population et la manière dont elles-mêmes se projettent dans le Québec de demain. Leur monde est métissé, surtout s’ils vivent à Montréal. Ce qui n’exclut pas leur désir et leur fierté de vouloir continuer de vivre en français. Ils sont pragmatiques, pas inquiets outre mesure. Ils se sentent néanmoins responsables de garder vivante cette spécificité culturelle francophone et de donner le goût du Québec aux nouveaux arrivants.

Autour de la parution du rapport Bouchard-Taylor, le concert de voix plus âgées, entonné par la vieille famille souverainiste, chantait une tout autre chanson. Chicanier et souvent alarmiste, leur discours lançait aux plus jeunes un curieux message, eux qui sont pour la plupart heureux de vivre dans une société pluraliste. Cent fois ces dernières semaines, on a discrédité l’interculturalisme à la québécoise, le comparant à une version édulcorée du multiculturalisme à la Trudeau ; on a enfoncé l’idée que nos valeurs étaient en danger dans une laïcité ouverte ; on a fait grand étalage du sentiment d’insécurité, de l’angoisse identitaire, des menaces qui planent toujours sur le groupe majoritaire… Les procès d’intention et les vieilles querelles autour de la loyauté à la cause ont fusé sur toutes les tribunes. Elles sont pourtant tout, sauf intéressantes, tout sauf susceptibles de donner une impulsion à ceux et celles qui auront à relever les défis du 21e siècle.

La qualité de vie d’une petite société comme la nôtre repose sur sa capacité à imaginer des stratégies novatrices pour resserrer les liens entre toutes les composantes de la population, riche et défavorisée, régionale ou métropolitaine, de tous horizons culturels. Pour prospérer et vivre mieux, il faut donner le goût aux nouveaux venus d’adopter la culture francophone et de l’enrichir.

En quoi sommes-nous perdants, collectivement, si quelques dizaines de travailleuses de la santé ou de l’enseignement portent le foulard et ainsi gagnent mieux leur vie et celle de leur famille ? Favoriser la mixité sociale et les échanges de proximité, l’éducation à la citoyenneté et l’équité des chances, voilà de formidables matériaux pour fabriquer un tissu social de qualité. Lui seul peut nous aider à endiguer les irruptions et les frustrations au moment des crises qui surgiront, comme partout ailleurs.

Les véritables menaces à la cohésion sociale et à l’avenir du Québec sont intimement liées à la pauvreté de trop de familles, souvent montréalaises, immigrantes et autochtones. Et à l’indigence matérielle et culturelle dans laquelle vivent 25 % des enfants d’ici. Le vrai péril est tapi dans ces inégalités sociales qui plombent l’avenir des jeunes québécois défavorisés, en situation d’exclusion ou en rupture familiale.

L’éducation valorisée comme un fleuron tout au long de la vie (des CPE à la formation des adultes, en passant par la nécessaire éducation à la citoyenneté), voilà qui devrait constituer notre grand chantier collectif. C’est dans l’éducation et l’innovation que l’État doit investir massivement, comme l’a fait l’Ontario au printemps dernier. Chacun d’entre nous, jeunes et vieux, devrait aussi s’investir pour transformer la valeur éducation en action, dans sa vie et dans celle de ses concitoyens.

Après quelques dizaines de chroniques dans ces pages depuis 2002, c’est ma dernière en guise d’au revoir. D’autres engagements citoyens ont pris de l’ampleur dans ma vie, notamment à titre de marraine de la jeune Fondation 60 millions de filles, et au conseil d’administration de l’Institut du nouveau monde.

Merci d’avoir suivi ma réflexion dans ces pages, et longue vie à Alternatives.

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