Le protocole de Kyoto ou le retour des « indulgences »

mercredi 23 février 2005, par Bernard JOUVE, Catherine LABEAUMONT

La mise en application du protocole de Kyoto a longtemps été menacée par les États-Unis, qui refusaient de ratifier l’entente pour des raisons économiques. L’accord passé à Kyoto en 1997 est enfin entériné et a été officiellement mis en œuvre le 16 février, grâce à la décision de la Russie, annoncée le 25 octobre 2004, de ratifier le protocole.

C’est dans les années 1980 qu’il est apparu de plus en plus clairement que les émissions de gaz à effet de serre (GES) générées par les activités humaines avaient une influence désastreuse sur le climat de la planète. À la suite de négociations internationales, la Convention cadre des Nations unies a été établie sur les changements climatiques, posant pour objectif ultime la stabilisation des concentrations atmosphériques de GES à des « niveaux sûrs ». La Convention a été ouverte à la signature en juin 1992, au Sommet de la Terre de Rio de Janeiro, et elle est entrée en vigueur en mars 1994. Aujourd’hui, 186 pays ainsi que l’Union européenne sont liés par cette Convention. Estimant toutefois son objectif insuffisant, notamment pour les pays industrialisés, historiquement responsables des émissions de gaz à effet de serre, ces pays entamèrent un nouveau cycle de négociations qui aboutit à l’adoption du protocole de Kyoto, en décembre 1997.

L’une des dispositions de ce protocole concerne la réglementation de la production des GES. Une sorte de « bourse » des pollueurs, permettant aux plus gros pollueurs d’échanger des « points » avec ceux qui respecteront le plus les nouvelles contraintes. Ce système étend le principe de la régulation par le marché à la production de GES.

Ce système d’échange de « permis de polluer » est souvent présenté comme une innovation majeure permettant, une fois de plus, à la « main invisible du marché » de résoudre nos problèmes collectifs en répartissant avec le plus d’efficacité les ressources entre les individus, les groupes sociaux, les firmes, et les États. On substitue en quelque sorte le principe du « pollueur-payeur », longtemps la base de nombreuses réglementations environnementales, par celui du « pollueur-pénitent ». Quelque chose qui rappelle le système des indulgences mis en place par l’Église catholique au Moyen-Âge.

L’une des particularités historiques des « indulgences » est d’avoir donné naissance à un véritable marché économique de la pénitence ; les personnes les plus aisées rétribuant, sous une forme monétaire ou non, d’autres personnes, afin qu’elles expient à leur place leurs péchés. Pour échapper aux croisades ou aux pèlerinages censés contribuer à la « rémission totale ou partielle de la réparation », il était de pratique courante de payer une tierce personne pour effectuer ces actes de foi.

Si les sociétés occidentales se sont sécularisées, elles ont néanmoins pris soin de cultiver le principe selon lequel il est possible d’expier les fautes par le biais du marché. Ironie de l’histoire, ce sont les États-Unis, le principal producteur de GES (40 % à lui seul), dirigés par une « secte protestante », pour parler comme Max Weber, qui actuellement refuse d’appliquer le protocole de Kyoto et donc nie la primauté du marché comme instrument de répartition optimale des ressources.


Les auteurs sont respectivement titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les dynamiques territoriales à l’UQAM et enseignante au Collège Stanislas de Montréal.

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