Le laboratoire vénézuélien

jeudi 23 août 2007, par Pierre Beaudet

Au Venezuela cet été, l’effervescence est palpable. Pour la xième fois, le peuple se prépare à une nouvelle grande consultation sur la Constitution. El presidente Hugo Chavez propose des amendements qui iraient davantage dans le sens de la décentralisation du pays, notamment vers les conseils communaux qui pourraient devenir les piliers d’une administration axée sur les besoins des barrios et des villages. Les mauvaises langues à Caracas disent cependant que le véritable objectif est de permettre la réélection de Chavez à la présidence (la Constitution actuelle permet deux mandats seulement). Quoi qu’il en soit, le processus bolivarien enclenché depuis 1999 semble bien solide.

Les succès de Chavez, validés par plusieurs élections et référendums ces dernières années, consistent a avoir entrepris de vastes réformes sociales en faveur des démunis. L’État est devenu pourvoyeur de services de santé et d’éducation pour la majorité de la population, au lieu d’être ─ ce qu’il était avant ─ l’organisateur des prédations de la classe dominante. Ce qui permet cette restructuration est bien sûr la manne pétrolière. Le budget de l’État, qui prévoyait un prix moyen de 30 $ dollars le baril, est présentement tiré vers le haut par les cours actuels (au-dessus de 70 $). Grâce aux fameuses « missions » mises en place par l’État, des millions de personnes ont maintenant accès à des services de santé adéquats, à des écoles avec des profs, à des biens alimentaires à prix abordables. Pour la première fois, une famille pauvre peut sauver son enfant malade parce qu’il y a un médecin et des médicaments de l’autre côté de la rue.

Parallèlement à ces mesures contre la pauvreté, Chavez veut réorienter les priorités de développement vers l’intérieur du pays ─ traditionnellement tout était concentré sur Caracas et les régions côtières ─, où réside une population marginalisée, et qu’il veut désenclaver par des infrastructures de transport. De cette immense redistribution des revenus ressort un certain nombre de problèmes. Les budgets consacrés aux dépenses sociales ne permettent que marginalement à l’économie de se diversifier et de s’investir dans des projets productifs en agriculture ou dans le secteur manufacturier. Les détenteurs de capitaux, pour ne pas dire les dominants, sont méfiants et préfèrent garder leur fric plutôt que de l’investir. Ce qui crée des pressions inflationnistes dangereuses. Mais en attendant, le « socialisme pétrolier » ─ l’expression est de Chavès ─ fonctionne.

Pouvoir populaire ?

Les dominés profitent de tout cela pour s’organiser. Ici et là, des coopératives, des groupes d’entraide, des radios communautaires poussent comme des champignons dans l’improvisation générale. Les partis de gauche, traditionnellement assez faibles au Venezuela, n’exercent pas une grosse influence, sauf peut être au sein de la nouvelle centrale syndicale, l’Union nationale des travailleurs (UNT). Pour sa part, Chavez veut aller vite et ne pas tergiverser. Il rêverait d’une sorte de pouvoir populaire « direct », où les citoyens prennent l’initiative. Il voudrait d’autre part coaliser les diverses gauches au sein d’un parti « unique de la gauche », le Parti socialiste uni du Venezuela.

Face à cela, les anciennes organisations de gauche sont plutôt réticentes pour un ensemble de raisons. D’une part, elles pourraient perdre leur espace. Elles craignent d’autre part que les organisations populaires ne deviennent autant de « courroies de transmission » vers le centre du pouvoir. Mais les gens ordinaires voient la chose différemment. La révolution bolivarienne, c’est Hugo. On voit de ses propres yeux les impacts d’une politique qui donne des résultats.

On est aussi sceptique face à un monde politique traditionnel qu’ont toujours dominé les mêmes élites, essentiellement riches, blanches et urbaines. Edgardo Lander, un sociologue de Caracas qui observe la situation de près, estime que le processus actuel d’auto-organisation à la base est porteur même s’il demeure fragile : « Parfois, l’État intervient trop et maladroitement, y compris par la distribution chaotique de ressources financières. Mais dans ce chaos s’accumule une expérience organisationnelle inédite. Reste à voir si le mouvement populaire saura se déployer dans l’espace institutionnel créé par le bolivariannisme et se structurer de manière à réellement libérer la parole et l’action des communautés de base. »

À la conquête des Amériques

La révolution bolivarienne et le « socialisme pétrolier » du président Chavez lui permettent de prendre une place de plus en plus importante sur l’échiquier latino-américain. Sur le plan du symbolique, Chavez est devenu un véritable héros aux yeux des multitudes du Rio Grande jusqu’à la Terre de feu. Non seulement il tient tête à Bush, mais il met en place toutes sortes d’initiatives concrètes pour traduire en action le rêve d’une Amérique latine solidaire.

Ainsi le Venezuela, avec l’aide de Cuba, transfert actuellement des ressources considérables vers la Bolivie et le Nicaragua. L’Alliance bolivarienne pour les Amériques, l’ALBA, est encore sur papier, mais elle commence à apparaître comme un processus réel, stimulé par des projets concrets comme PétroSud, TVSud et d’autres idées visant à intégrer les Amériques pour les peuples. Mais l’ALBA est fragilisée du fait que le Brésil et l’Argentine, notamment, restent en marge. Comme si ces pays craignaient l’hégémonie de Caracas au moment où eux-mêmes tentent de se positionner comme puissances régionales, et même mondiales.

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