Sahara occidental

Le désert convoité

vendredi 1er juin 2007, par Pierre Beaudet

Depuis des années, la question du Sahara occidental a pratiquement disparu des écrans radars politiques. L’Onu et le monde préfèrent regarder ailleurs.

Depuis 30 ans, le conflit du Sahara occidental reste entier. D’un côté, la majorité de la population locale, les Sahraouis, aspire à l’indépendance. De l’autre, le Maroc a pris le contrôle du territoire après le retrait espagnol en 1975 et il affirme détenir la souveraineté sur ce territoire riche en phosphate et potentiellement riche en pétrole. Pour justifier l’annexion du territoire, le pays évoque les liens de longue date qui unissaient le sultan du Maroc et les tribus vivant au Sahara occidental.

L’argument marocain a été rejeté par la Cour internationale de justice en 1975. Depuis, l’ONU tente tant bien que mal d’y organiser un référendum, ce qui pourrait démontrer une fois pour toutes ce que veulent les Sahraouis. Mais l’État marocain tergiverse et cherche à éviter le moment de vérité qui pourrait cependant survenir plus tôt que plus tard.

Pendant que la mission onusienne sur place au Sahara occidental attend Godot, la population s’impatiente. Des dizaines de milliers de familles séparées par une barrière construite par le Maroc à travers le territoire, ainsi que des milliers de réfugiés en Algérie, subissent les contrecoups de cette impasse politique. Entre-temps, selon Peter Van Walsum qui dirige la mission des Nations unies sur place (la MINURSO), la vie est bien difficile.

Pour sa part, dans son dernier rapport annuel, Human Rights Watch souligne les abus régulièrement commis par la police et par l’armée contre des civils. Lors de manifestations pacifiques de mai 2005, des dizaines de personnes ont été brutalisées et arrêtées. Un manifestant, Hamdi Lembarki, a été tué par des policiers. Il faut dire qu’un procès est en cours contre les responsables de ces exactions. Mais les Sahraouis sont sceptiques quant à la volonté de l’État de punir les coupables.

Intifada

Depuis ces manifestations, qualifiées d’« intifada sahraouie » par la presse marocaine, la situation reste tendue. La colère des jeunes, en particulier, atteint des sommets. Au point où ils ne craignent plus d’affronter les autorités marocaines. Sur les murs des bâtiments administratifs à Laayoune (la principale ville du Sahara), les graffitis pro-indépendance et les couleurs rouge, verte, blanche et noire du Front Polisario s’affichent partout.

Pour le moment, le Polisario, qui a proclamé la République arabe sahraouie et démocratique en 1976, maintient sa politique de résistance civile non violente. Mais dans les camps de réfugiés localisés en Algérie, où plus de 165 000 Sahraouis sont en attente, l’organisation indépendantiste dispose d’une force militaire qui pourrait être réactivée. Cela avait été le cas lors de la très coûteuse guerre de guérilla qui a ravagé le pays, de 1976 à 1991.

A plusieurs reprises, l’ONU a cherché une solution politique au conflit, en promettant d’organiser un référendum sous la supervision de la communauté internationale. En 2000, au début de son règne, le nouveau roi marocain, Mohamed Vl, avait même semblé afficher une certaine ouverture. En 2003 toutefois, la porte s’est encore une fois refermée. Le compromis proposé par l’ONU, suggérant une période transitoire d’autonomie de quatre ans et un référendum avec trois options (l’indépendance, l’intégration au Maroc et l’autonomie) a été rejeté par le Maroc. Par contre, à la surprise générale, il avait été accepté par le Polisario.

Depuis, rien de bouge. Les États-Unis et la France font pression sur le Polisario pour qu’il abandonne son objectif d’un État indépendant et qu’il négocie les termes d’une autonomie aux contours mal définis. Mais les dirigeants du Front estiment que le temps joue pour eux. Ils se sentent confiants de l’appui populaire, aussi bien dans les territoires contrôlés par le Maroc que parmi la communauté exilée. Également, le Polisario sait qu’il peut compter sur l’appui de l’Algérie, qui joue son propre jeu dans cette affaire. Alger aspire toujours à exercer une hégémonie régionale, ce qui veut dire affaiblir le Maroc dans le contexte de l’épineux conflit du Sahara.

Le Maroc malade du Sahara

Longtemps considéré comme le fief des appareils de sécurité et de diverses mafias associées au régime, le Sahara est maintenant perçu comme un fardeau par la société marocaine. Désormais, plusieurs des grands tabous qui avaient été imposés dans la période antérieure sont ouvertement débattus, y compris celui de l’irréversible « marocanité » du Sahara. Dans les médias et les forums publics, il n’est plus rare d’entendre des Marocains dire que toute cette « histoire » devrait être liquidée une fois pour toutes et que le Maroc devrait laisser les Sahraouis décider de leur propre sort.

La grogne est perceptible au Maroc, d’autant plus que la crise sociale et économique larvée continue de s’aggraver, notamment avec un chômage élevé. Le roi Mohamed Vl, qui avait suscité de fortes attentes au sein de la population, apparaît de plus en plus contesté. La fronde des diverses factions politiques et militaires témoigne des turbulences qui traversent la société en profondeur. Et l’actuelle chasse aux islamistes, justifiée par la perpétration d’attentats terroristes, ne pourra probablement pas régler le problème.

La dernière résolution du Conseil de sécurité de l’ONU sur le conflit du Sahara, votée le 31 octobre dernier, se contente de vœux pieux pour une « paix juste et négociée », sans imposer de pressions contre le blocage marocain. Les Sahraouis soulignent que ce manque de volonté relève d’une politique de deux poids deux mesures. En effet, cette timidité de l’ONU tranche avec l’intervention de la communauté internationale qui a permis le référendum (et la sécession subséquente) du Timor oriental, et qui s’apprête à accorder aux Kosovars la possibilité de constituer un État indépendant.

Parallèlement, le Maroc tente de consolider sa position en tant que « meilleur ami » des Occidentaux dans la région. Le royaume s’est vite impliqué dans la « guerre sans fin » de George W. Bush, en accentuant la coopération militaire. Le Maroc a aussi accepté d’accueillir des lieux de détention secrets, où de présumés supporteurs de Ben Laden ont été torturés. L’affaire, toujours niée par les autorités marocaines, a été confirmée par une enquête du Parlement.

Pour le Maroc, les enjeux apparaissent énormes. D’autant plus que Washington ne se gêne pas pour courtiser l’éternel rival algérien, qui se présente lui aussi comme le futur garant de la pax americana en Afrique du Nord. En jouant le Maroc contre l’Algérie et en manipulant la crise du Sahara, les États-Unis espèrent verrouiller cette région dans le contexte de leurs vastes ambitions de « réingénierie » du monde. Reste à savoir combien de temps les Sahraouis attendront encore.

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