Le Soudan s’embrase

mercredi 28 avril 2004, par François L’ÉCUYER

En pleine commémoration du génocide tutsi, les Nations unies devaient, encore une fois, tirer la sonnette d’alarme. Les milices armées du gouvernement soudanais, sous le prétexte d’une rébellion dans la région du Darfour, déplacent et tuent les populations civiles, dans ce qui apparaît tenir d’un nettoyage ethnique bien organisé. Le président el-Bashir profite depuis janvier d’une trêve des négociations avec la rébellion du Sud pour mettre les populations africaines de l’Ouest à sac. « La pire crise humanitaire dans le monde à l’heure actuelle » affirment les Nations unies, qui refusent toutefois de reconnaître la responsabilité de Kharthoum.

En novembre dernier, Ibrahim Mudawi, directeur de l’organisation Sudan Social Development Organisation, se rendait au Darfour afin d’évaluer les besoins humanitaires de cette région, située dans l’ouest du pays. À son retour à Khartoum, la capitale, le gouvernement soudanais l’a arrêté. Le motif ? « Avoir miné la Constitution, avoir participé à un soulèvement contre l’État et avoir "internationalisé" la crise du Darfour », indique-t-il, joint par téléphone depuis son lieu de détention. Ces trois charges sont passibles de la peine de mort, toujours en vigueur au Soudan.

Il poursuit : « Le gouvernement croit que ma détention empêchera la communauté internationale d’être informée de la situation dramatique au Darfour. […] Les personnes déplacées par le conflit m’ont expliqué les conditions qui les ont forcées à fuir. L’armée soudanaise bombarde les villages du haut des airs, et les milices paramilitaires terminent le travail sur le terrain : ils tuent les hommes, violent les femmes et mettent finalement le feu au village. »

En réaction aux graves problèmes de pauvreté et d’exclusion que vit la population du Darfour, deux mouvements de contestation y ont vu le jour depuis quelques années : le Sudan Liberation Army (SLA) et le Justice and Equality Movement (JEM). Alors que ce dernier semble très minoritaire, M. Mudawi souligne le fait que « le SLA reçoit l’appui de la grande majorité des populations africaines du Darfour : les Fur, les Zaghawa et les Massaleit ». Mais avant même que ces mouvements ne prennent les armes, les milices arabes supportées par le gouvernement (les Janjaweed) et l’armée soudanaise envahissaient la région du Darfour en février 2003 afin de tuer la rébellion dans l’œuf. Selon les derniers chiffres, 1 million de personnes aurait été déplacées et plus de 130 000 auraient trouvé refuge au Tchad, à la suite de l’intensification des massacres et de la stratégie de la terre brûlée utilisée par les milices au cours des derniers mois.

Depuis plus de vingt ans, le gouvernement soudanais utilise les mêmes tactiques (bombardements aériens, milices armées interposées) contre les populations africaines du Sud, afin d’en finir avec la rébellion du Sudan People Liberation Army (SPLA). Les précieuses ressources pétrolières ne sont pas étrangères aux nombreux déplacements de population et aux massacres perpétrés par les milices du gouvernement. Un protocole de paix, supporté par les États-Unis, l’Angleterre et la Norvège, a été signé en janvier entre le gouvernement et le SPLA. Depuis, une trêve de ces négociations a permis au gouvernement de concentrer ses actions militaires au Darfour.

Faillite de la diplomatie internationale

« La reprise de telles atrocités de la part du gouvernement soudanais indique bien l’ampleur de l’échec de la diplomatie internationale vis-à-vis du Soudan », explique Hafiz Mohamed, spécialiste du Soudan pour l’organisation Justice Africa à Londres. Depuis les années 80, la communauté internationale confine le problème soudanais dans un carcan Nord-Sud. Les divisions socioculturelles entre le Nord, « arabe et musulman », et le Sud « africain et animiste » expliqueraient à elles seules un conflit vieux de vingt ans. Le récent rapport du International Crisis Group indique toutefois que « c’est en partie parce que le processus de paix a été structuré autour de l’axe Nord-Sud, plutôt que de reconnaître que la guerre est nationale et que les réclamations ne sont pas limitées au Sud, que d’autres populations marginalisées du Soudan se sont senties contraintes de se battre pour que leurs demandes soient entendues ».

C’est pourquoi la majorité des partis politiques et des mouvements armés opposés au gouvernement actuel ont formé le National Democratic Alliance (NDA) afin de réclamer une réelle démocratisation de la société soudanaise sur l’ensemble du territoire. La communauté internationale, les États-Unis en tête, ont préféré négocier avec les rebelles du SPLA, minant grandement les forces de la coalition du NDA. M. Mudawi insiste : « La communauté internationale fait la sourde oreille devant les demandes de démocratisation du NDA. C’est une grave erreur. Tant qu’ils ignoreront le mouvement de masse pour la démocratie, ils n’aideront pas le Soudan à parvenir à la paix ! »

Pour M. Mohamed de Justice Africa, puisque « les États-Unis vont en élections, ils verraient d’un bon œil un succès diplomatique au Soudan. Amener tous les acteurs à la table des négociations aurait été long et compliqué, mais ni le gouvernement ni le SPLA ne peuvent prétendre représenter l’ensemble de la population. Et tant que nous n’aurons pas un accord qui implique l’ensemble des acteurs et qui tient compte de l’ampleur des problèmes d’exclusion, nous ne parviendrons pas à la paix au Soudan. » Déjà, tant l’accord de cessez-le-feu au sud du pays obtenu en janvier que celui du Darfour arraché en avril pour des fins humanitaires n’ont pas été respectés.

Pendant ce temps, l’aide humanitaire tarde à venir. « Seulement 5 à 10 % du million de personnes déplacées ont accès aux camps et à l’aide humanitaire », indique M. Mudawi, dont l’inquiétude vis-à-vis de celles-ci contraste étonnamment avec le calme qu’il conserve par rapport à son procès. « Le gouvernement n’a aucune preuve. Même la Cour semble prête à rejeter les accusations. » A-t-il pour autant confiance que l’État de droit règnera lors de son procès ? « Ah ça, non ! », répond-il.


L’auteur est chargé de projets pour l’Afrique à Alternatives.

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