Cette entente entre Mugabe et Tsvangirai demeure encore lettre morte parce que les deux chefs ne s’entendent pas sur le choix des ministres. Par contre, le régime dictatorial de Robert Mugabe peut remercier Thabo Mbeki de l’avoir aidé à rester en place, malgré la victoire de Tsvangirai aux élections de mars. Un transfert de pouvoir démocratique sans l’aval de Mugabe ne plaisait pas aux élites zimbabwéennes, ni à Mbeki qui prône la conciliation et qui voit son pays tirer avantage des malheurs de son voisin.
L’Afrique du Sud profite des troubles au Zimbabwe
Avec une croissance annuelle de 3 %, l’économie sud-africaine a peu souffert de la descente aux enfers du Zimbabwe. Pour les investisseurs étrangers, l’effondrement de l’économie zimbabwéenne offre plusieurs opportunités intéressantes. Par exemple, le secteur minier prospère étant donné que les coûts se font en devise locale mais que les revenus sont obtenus en dollars américains. Des compagnies sud-africaines de platine ont investi au Zimbabwe en vertu d’un arrangement signé en 1992 avec le gouvernement zimbabwéen qui leur permet de conserver leurs devises étrangères à l’étranger. Selon un journal d’affaires sud-africain, lorsque le gouverneur de la Banque centrale du Zimbabwe a menacé d’annuler cette entente en 2004, il a été rappelé à l’ordre par Thabo Mbeki lui-même, et le gouverneur a effectué une visite pour rassurer les investisseurs à Johannesburg.
Pendant que le capital peut négocier des ententes politico-économiques favorables aux investisseurs, le taux d’inflation annuel (231 millions % au début d’octobre !) fait en sorte que les salaires n’en valent pas la peine. Le taux de chômage atteint 80 %. Les opportunités pour les Zimbabwéens se trouvent de l’autre côté de la frontière. Environ trois millions d’entre eux ont émigré en Afrique du Sud depuis 2000. Ceci favorise l’économie sud-africaine, puisque ces immigrants sont qualifiés. L’envoi d’argent à leur famille dans leur pays d’origine fait en sorte que l’usage du rand sud-africain est maintenant répandu au Zimbabwe.
L’Afrique du Sud refuse de considérer ces nouveaux arrivants comme des réfugiés, ce qui veut dire que le gouvernement n’a pas à fournir d’aide humanitaire. Ce manque d’encadrement a débouché sur des pogroms xénophobes contre les immigrants dans les quartiers pauvres de Johannesburg en mai. Les camps mis en place pour les personnes qui ont fuit ces violences sont, selon le gouvernement, des « îlots de sécurité » et non des « camps de réfugiés ». Lorsque Thabo Mbeki a parlé de ces attaques, il a déclaré que les pogroms étaient liés à la criminalité et donc dénués d’intentions xénophobes ou de ressentiments populaires. Reconnaître l’exaspération des Sud-Africains aurait voulu dire admettre l’échec des politiques internes et étrangères sud-africaines.
Les vieilles relations entre Mbeki et Mugabe
Pour certains, l’approche conciliante de Mbeki envers Mugabe peut être interprétée par la peur de voir une opposition s’organiser à partir d’une fédération syndicale en Afrique du Sud, comme ce fut le cas du MDC au Zimbabwe. Une alliance entre le parti au pouvoir, le Congrès national africain (ANC), et la plus importante fédération syndicale sud-africaine a empêché la naissance d’un parti à gauche de l’ANC.
Mbeki a rencontré Mugabe pour la première fois en 1980, tout juste après l’indépendance du Zimbabwe. L’optimisme de l’époque a forgé cette relation qui s’est renforcée dans les années subséquentes. Une de ses tâches était de bâtir des liens entre son parti, l’ANC et celui de Mugabe, le ZANU. Avant cela, l’ANC était plus proche du rival de Mugabe, Joshua Nkomo. Ces alliances s’inscrivaient dans l’optique de la guerre froide, puisque l’ANC recevait de l’aide de l’Union soviétique, tandis que la Chine appuyait le ZANU dans sa guérilla contre les colons blancs au Zimbabwe.
Dans un contexte bien différent, Mugabe a ravivé ses liens avec une Chine qui devient maintenant une force capitaliste. Sa politique asiatique a permis à son régime de survivre, tandis qu’il accuse les forces impérialistes occidentales de conspirer pour provoquer le déclin de l’économie du Zimbabwe. L’Afrique du Sud n’est pas dépendante de la Chine et Mbeki a prévenu que ces investissements chinois ressemblent parfois à du colonialisme. Mais sous sa direction, l’Afrique du Sud a évité d’offenser la Chine, afin de maintenir un équilibre des forces.
Ceci est évident lorsqu’on examine certaines positions controversées prises par l’Afrique du Sud à l’ONU. Le pays a voté contre des sanctions envers le Zimbabwe, ce qui a ouvert la porte à la Russie et à la Chine pour justifier leur recours au droit de veto au Conseil de sécurité. La crise en Birmanie, un allié chinois, a aussi été laissée de côté au Conseil de sécurité grâce à l’insistance de l’Afrique du Sud, qui soutenait que cela ne menaçait pas la sécurité internationale. Et l’Afrique du Sud, avec l’appui de la Chine a tenté de persuader l’ONU de ne pas inculper le président soudanais pour crime de guerre.
Cette alliance entre l’Asie et le Sud vise à tourner le dos à l’Occident. Contrairement aux États-Unis et à la Grande-Bretagne, qui exigent des sanctions contre le Zimbabwe, la Chine a prôné une politique de non-ingérence, ce qui laisse intacte la souveraineté africaine. La Chine ne s’est pas salie les mains par une forte collaboration avec le régime de l’apartheid dans les années 1980. Alors, lorsque les Américains ou les Britanniques demandent une intervention plus musclée, Mbeki, avec l’aval de la Chine, défend l’indépendance politique de l’Afrique.
La médiation de Mbeki pour résoudre l’impasse entre le président Mugabe et l’opposition au Zimbabwe a amenuisé les pressions internes et externes afin de régler le conflit. Au lieu de seulement protéger Mugabe, son approche a permis à l’Afrique du Sud de se placer comme un acteur incontournable en Afrique. La vision de Mbeki pour le développement de l’Afrique suppose que les États africains sont capables de promouvoir entre eux la démocratie. Le cas du Zimbabwe est peut-être un échec de ce point de vue, mais la signature d’une entente pour le partage du pouvoir ne compromet pas cette stratégie. Les Zimbabwéens ont réussi à s’entendre sans ingérence externe apparente, sauf celle de Thabo Mbeki…