Nous aurons dans les prochains mois, et peut-être même pour un certain nombre d’années, un gouvernement conservateur minoritaire. L’équilibre des forces reste fragile, néanmoins cela serait une grosse erreur de penser que le Canada et le Québec resteront toujours ce qu’ils ont été.
Les secteurs dominants au Canada veulent une réorganisation de l’économie. Ils sont confiants de leurs forces dans le secteur des finances (Toronto est devenue le deuxième centre financier de l’Amérique du Nord) et dans les ressources naturelles, notamment le gaz et le pétrole, d’où les gigantesques projets en Alberta. Mais, petit problème, l’économie canadienne a été construite autour du secteur manufacturier, qui a été la locomotive du pays et le tremplin pour les classes populaires et moyennes qui voulaient accéder à une vie meilleure. Pour le moment, il n’est évidemment pas question d’anéantir le secteur manufacturier, mais il est évident que, pour les dominants, tout cela appartient au passé. Les secteurs mous traditionnels (vêtement, textile) doivent être liquidés, de même que, progressivement, l’automobile, la sidérurgie, les chantiers navals et la transformation des produits primaires. 300 000 emplois, sinon plus, ont déjà disparu depuis trois ans. Et le pire pourrait être à venir. Les détenteurs de capitaux canadiens ne veulent plus investir dans l’industrie. C’est plus payant de délocaliser ces productions dans des zones de bas salaires, ce qu’on peut faire dans la logique de l’entente de l’ALÉNA.
Les dominants veulent aussi « dégraisser » l’État. Les coupures draconiennes qui ont affecté l’assurance-chômage, par exemple, sous prétexte de réduire le déficit (sur le dos des chômeurs) pourraient être répétées, ce qui pourrait bien sûr affecter la santé, l’éducation, les médias et l’aide aux régions, tous des secteurs qui, au fil des dernières années, ont été ciblés par les gouvernements fédéraux, de Paul Martin à Stephen Harper. En fait, on peut penser que sous l’égide des dominants actuels, il est davantage question de réorienter l’État plutôt que de l’affaiblir. Bref, plus de prisons, plus de militaires, plus de contrôles sur les immigrants, les réfugiés, les jeunes.
Enfin, le Canada, estiment les élites, doit se rapprocher des États-Unis. Ce qui avait commencé avant le gouvernement conservateur pourrait s’accélérer. Le monde actuel se re-polarise, les États-Unis étant dans un conflit larvé avec l’Amérique latine, la Chine, la Russie, voire l’Union européenne. Entre-temps se perpétuent les nombreux conflits en Asie, au Moyen-Orient et sur le flanc sud de l’Europe, et face auxquels même Obama promet d’en remettre (plus intelligemment que Bush toutefois). Devant tout cela, l’élite canadienne répond « oui-chef », ce qui laisse présager une formidable progression des budgets militaires dans les prochaines années, crise financière ou non.
Le nouveau gouvernement conservateur peut se le permettre puisque l’opposition à la Chambre des communes est disloquée. Restent cependant la population et les mouvements sociaux. Certes, la grogne des gens ordinaires devant les dérives actuelles est palpable. Mais elle pourrait bien faire le lit de toutes sortes de populismes démagogiques, comme on le voit dans d’autres lieux (en Europe notamment). Il faudra donc que la résistance aux projets de droite se transforme, dans un jour pas si lointain, dans un projet alternatif, capable de redonner le goût aux citoyens de participer aux grands efforts collectifs qui devraient être ambitieux. Peut-être autant que ceux qui étaient en place, il n’y a pas si longtemps, par une soi-disant « révolution tranquille » ?