La prochaine guerre du Liban

lundi 11 septembre 2006, par Pierre Beaudet

Tout le monde en convient, l’armée israélienne a perdu la guerre des 33 jours. Et ce, en dépit de son incroyable supériorité en armements et de ses dizaines de milliers de soldats. Pourtant, les observateurs, israéliens notamment, avaient averti que le Hezbollah disposait d’une infrastructure sophistiquée et de combattants redoutables. On ne les a pas écoutés. Pourquoi ? C’est admis en Israël, le groupe dirigeant actuel autour d’Olmert ne brille pas par son intelligence. La pitoyable prestation du ministre de la Défense et chef du parti Travailliste, Amir Peretz, s’est ajoutée à la médiocre performance du reste du gouvernement.

Mais ceci n’explique pas tout. Les Israéliens ont été manipulés. Comme l’a révélé le journaliste new-yorkais Seymour Hersch, la guerre était voulue et planifiée à Washington. Les néoconservateurs, qu’on croyait en perte d’influence, ont voulu relancer la « guerre sans fin », faire oublier l’Irak et préparer la grande répétition générale de la « guerre rêvée », celle contre l’Iran. Bien sûr, ils se sont fait avoir. Mais pas au point d’abandonner leurs rêves. Soyons réalistes, il est clair que, avant la fin de leur mandat, Bush, Cheney et Rumsfeld vont remettre cela.

Hezbollah a marqué beaucoup de points. Sur le plan militaire, la résistance libanaise a fait éclater le mythe de l’infaillibilité de Tsahal. Au point où les généraux israéliens s’interrogent. Que faire la prochaine fois ? Bombarder de haut et de loin ne donne rien. Occuper le terrain avec des dizaines de milliers de soldats n’est pas une solution dans un contexte où ce mouvement dispose d’une profonde base populaire. Pire encore, sur le plan politique, l’opération américano-israélienne a renforcé l’assise du Hezbollah tout en minant la crédibilité de l’opposition au mouvement, regroupée autour du clan Hariri. Mais le Hezbollah a aussi ses points de vulnérabilité. Quoi qu’on en dise, l’organisation composée de chiites libanais, devenue de facto un « mouvement de libération », garde sa marque communautaire. Entre-temps cependant, Hezbollah reste maître du terrain. Il pourra même consolider ses positions, notamment en organisant de façon très efficace la reconstruction du sud du pays - bien avant les agences dites humanitaires.

Qu’a fait la communauté internationale depuis le début de cette guerre ? Elle a globalement appuyé l’offensive israélo-américaine. Certains l’ont fait avec plus de nuances et d’élégance que d’autres - ce qui n’a pas été le cas du premier ministre Harper ! Mais tous les États, pays arabes compris, espéraient que le Hezbollah se fasse écraser. Petit « détail », cela n’a pas marché. Dans les rues des grandes capitales arabes, l’opinion est survoltée. Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, est devenu un héros, alors que les gouvernements, déjà discrédités, sont perçus comme de misérables larbins. L’influence de l’Iran est décuplée et dépasse même la division chiite-sunnite.

Après avoir paralysé le Conseil de sécurité, les États-Unis ont négocié avec la France la résolution 1701. Celle-ci ne résoud rien. D’abord, la résolution est rédigée de façon à laisser à Israël la marge de manœuvre pour continuer ses agressions. Ensuite, et surtout, personne ne sera assez fou - pas même le président Chirac - pour vouloir envoyer des soldats policer le Hezbollah, alors que la puissante armée israélienne s’en est avérée incapable. La force militaire prévue par la résolution 1701 est donc très mal partie. Sans compter que l’opinion publique, en Europe notamment, ne tolérera pas que des soldats français ou italiens ne deviennent des supplétifs des États-Unis.

Tout cela annonce la tempête qui s’en vient, dans quelques jours ou quelques mois. Amir Péretz dit ouvertement préparer le deuxième round. Le Hezbollah également. Certes, les Libanais encaisseront. Les Palestiniens aussi, surtout à Gaza, où une population entière est prise en otage. Un miracle peut-il survenir ? Les puissances, États-Unis en tête, parviendront-ils à remettre un pilote dans l’avion et négocier un véritable accord de paix dans la région, qui commencerait par imposer le retrait israélien des territoires occupés palestiniens, du Golan (syrien) et des autres régions bousculées par l’invasion et la colonisation ? Les États-Unis seraient-ils prêts de se retirer de l’Irak et laisser aux Irakiens, avec l’appui des autres pays, le soin de reconstruire leur pays ? Pour cela, il faudrait que la pression internationale « par en bas » devienne immense. Rêvons, car il est important de penser l’impensable. Mais en même temps, préparons-nous. La « guerre sans fin » est bel et bien en marche.

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