Ne nous contentons pas d’être les usufruitiers de notre liberté ! Le pouvoir est la source de cette liberté. Nous sommes, chacun et chacune d’entre nous, la source du pouvoir. La démocratie repose sur cette réalité.
Quand j’écris nous, je pense à la famille, aux amis-es, aux voisins-es, aux collègues de travail, aux personnes croisées dans la rue. Je vois ce nous de tous les jours, palpable, concret. Et non, cette « majorité silencieuse » qui fréquente de plus en plus les discours des politiciens et politiciennes, et face à laquelle je ne peux rester muet...
La majorité silencieuse, c’est le peuple idéal de celles et ceux qui ont fait de l’accaparement du pouvoir sous toutes ses formes un métier.
Selon le candidat aux élections présidentielles françaises, Nicolas Sarkozy, qui a récemment utilisé la formule, cette majorité « affronte les difficultés de la vie sans jamais rien demander, souffre sans jamais se plaindre, ne proteste pas, ne casse pas. » Elle fait sa « juste part », aurait-on ajouté ici, au Québec.
Ce concept de majorité suiveuse est pratique. Flou et malléable, il peut être opposé à toute minorité qui digère mal la pilule qu’on lui administre. Il ne reste plus qu’à utiliser sa majorité parlementaire – toute relative à l’échelle des gouvernés – pour créer des lois sectorielles au nom de la majorité silencieuse, et le tour est joué ! Progressivement, tout le monde y passera : étudiant-es, travailleur-ses, aîné-es, femmes, homosexuel-les, étranger-es, handicapé-es, etc.
Il est recommandé de ne pas se précipiter, afin qu’à aucun moment les différentes composantes du peuple ne réalisent qu’elles sont sur le même bateau. La voie royale serait finalement d’inscrire cette « majorité silencieuse » dans la Constitution. Ainsi, même la Justice garderait son bandeau sur les yeux.
La majorité silencieuse, c’est l’intérêt général utilisé contre lui-même. Qu’une minorité revendique la portée collective et générale de son action, et l’intérêt général l’invite à s’asseoir pour en discuter. Mais la majorité silencieuse, elle, ne discute pas. Elle veut qu’on la laisse tranquille.
La tendance actuelle nous montre que les hommes et femmes politiques sont prêts à devenir les farouches défenseurs de cette tranquillité. C’est aussi, et surtout, de la leur dont il est question.
Qu’on les laisse gouverner ! Voici ce qui nous est demandé. La plus grande qualité de la majorité silencieuse est justement son silence. On attend d’elle qu’elle ne s’exprime que dans les urnes. Le reste du temps, nos représentants-es nous recommandent de délier leurs mains et de lier nos bouches. Ils nous exhortent à leur faire confiance... aveuglément.
Après avoir brandi et agité les fantômes de l’islamisme qui menace la France, de la crise économique qui menace l’Europe, de l’abstention qui menace la démocratie, Nicolas Sarkozy rassure, de sa voix la plus douce, sa France silencieuse : « N’ayez pas peur. »
Peut-être la démocratie gagnerait-elle à plus de méfiance à l’égard de celles et ceux qui nous veulent du bien ?