Billet

La langue qui fourche

jeudi 27 mars 2008, par David HOMEL

Question : qu’ont en commun la question des « accommodements raisonnables » et celle de la langue ? Réponse : elles sont toutes les deux, aux mains de certains politiciens, de vulgaires outils stratégiques.

Simplification, direz-vous ? Il y a pourtant des parallèles. Surtout lorsque Mario Dumont propose de limiter l’immigration afin de protéger la langue française au Québec.

On a relancé le débat dernièrement avec la révélation que le français est utilisé comme langue première dans moins de 50 % des ménages sur l’île de Montréal. Scandale ? Je suis tenté de citer ce grand Canadien français, Pierre Elliott Trudeau : « L’État n’a pas d’affaire dans les chambres à coucher de la nation. » Si, à la maison, on parle polonais ou arabe, je ne vois pas en quoi cela dérangerait les défenseurs de la langue nationale, pourvu qu’on parle français dans les lieux de travail, à l’école ou sur la scène publique.

En plus, les statistiques mentent comme des arracheurs de dents. Je ne pense pas être le seul à répondre « Autre » à beaucoup de questions linguistico-identitaires pour le simple plaisir d’être « autre », et par devoir de rappeler à la société l’existence de l’autre en toutes choses. Quoique j’aie écrit cette chronique en français dans un journal francophone, je fais partie de ceux qui n’ont pas répondu « français » à la question sur la langue parlée à la maison.

Que l’immigrant parle français n’est pas suffisant aux yeux de certains. Et voilà ce qui est inquiétant. Ce n’est pas assez d’avoir appris le français, de travailler en français et de pouvoir participer à la vie commune dans cette langue. Le péché de ceux qui osent parler polonais, arabe ou anglais chez eux, c’est de ne pas être des Québécois francophones de naissance. C’est un crime de l’ordre de l’existence, de l’être, et nous devons être vigilants, car lorsqu’on propose de veiller sur notre vie privée, y compris les langues parlées à la maison, ça devient dangereux.

Revenons à nos immigrants qui, selon Mario Dumont, menacent notre langue. En 2007, 60 % des immigrants parlaient déjà le français en arrivant au Québec. C’est sûrement un sommet dans l’histoire de l’immigration de la province. Ma famille et, sans doute, ceux qui ont pris le même bateau pour la misérable traversée de l’Atlantique vers l’Amérique, ne pouvaient dire un seul mot d’anglais à leur arrivée. Que veut-il dire, ce chiffre de 60 % ? C’est très simple. Le Québec et le Canada reçoivent des immigrants instruits, et pas seulement des gens qui doivent s’enfuir pour sauver leur peau, comme ce fut le cas pour ma famille.

Et, puisque nous parlons immigration, blâmons, comme l’excellent Josh Freed le fait avec le sourire, la classe moyenne francophone qui quitte l’île de Montréal pour le 450, et qui, en émigrant, affaiblit le nombre de francophones sur l’île.

Il n’y a qu’une seule solution pour protéger la langue française au Québec. Et c’est d’ailleurs de ne pas la « protéger » – c’est d’en faire une source de plaisir. Tout passe par l’éducation. La lecture. Dans les écoles, je veux que les profs fassent lire aux élèves du François Villon et du Richard Desjardins, du Cendrars et du Huysmans. Le parti politique, qui clame la protection du français sans investir intensément dans l’éducation et dans les bibliothèques, n’aura jamais mon vote. Il se couvrira tout simplement de honte.

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