Les Tigres tamouls étaient un mouvement craint qui, à un certain moment, contrôlait le tiers du Sri Lanka. Ils dirigeaient un État de fait ayant sa propre aviation, sa marine et son infanterie. Leurs détracteurs les accusaient d’intransigeance et de brutalité, mais leurs partisans louaient leur engagement et leurs sacrifices. Leur fin a été abrupte, compte tenu surtout de leurs 26 ans de lutte.
L’origine du conflit
Les problèmes ethniques au Sri Lanka remontent à la colonisation britannique, qui a débuté en 1796 pour se terminer en 1948, lors de l’indépendance. Les Tamouls sri lankais vivent dans le nord et l’est de l’île depuis des siècles, tandis que les Britanniques font venir des Tamouls de l’Inde pour travailler dans les champs. En 1948, bien que majoritaire, la population cingalaise se sent menacée par les Tamouls, très présents dans l’administration publique et l’industrie du thé.
L’indépendance favorise l’émergence du nationalisme cingalais basée sur sa langue et le bouddhisme. Trois mesures importantes sont alors prises à l’encontre des Tamouls : en 1949, des Tamouls travaillant dans des plantations de thé sont expulsés vers l’Inde ; en 1956, le cingalais est adopté comme seule langue officielle, ce qui force de nombreux Tamouls à quitter l’administration publique ; et finalement, en 1963, le gouvernement sri lankais établit des règles favorisant l’entrée à l’université des Cingalais, aux dépens des Tamouls.
La naissance de la lutte armée
À l’origine, la résistance des Tamouls pour faire valoir leurs droits est non violente. Toutefois, le gouvernement s’en soucie peu, ce qui pousse des jeunes tamouls, galvanisés par l’oppression subie par leur communauté, à prendre les armes. En plus des Tigres tamouls, plusieurs groupes armés voient le jour. Mais au fil des ans, ces groupes se démobilisent ou se joignent au gouvernement. Les Tigres tamouls éliminent d’ailleurs d’autres groupes perçus comme des rivaux.
En 1983, les Tigres tamouls tuent 13 soldats sri lankais lors de l’attaque d’un convoi dans le nord de l’île. En guise de représailles, des Tamouls vivant dans la capitale, Colombo, sont victimes de violences gratuites. Ces événements, connus comme le Black July, déclenchent la guerre entre les Tigres tamouls et le gouvernement sri lankais.
La montée et la chute des Tigres tamouls
En 1983, à la suite de ces émeutes, Indira Gandhi, première ministre de l’Inde, décide d’aider les Tamouls sri lankais. Elle considère ce conflit ethnique comme stratégique pour son pays : il servira à contrebalancer l’influence grandissante des États-Unis au Sri Lanka, d’autant plus que les Américains sont alliés au grand rival de l’Inde, le Pakistan. Indira Gandhi offre donc un appui matériel et logistique aux activistes tamouls.
Après son assassinat en 1984, son fils, Rajiv Gandhi, prend le pouvoir en Inde. Il parraine les accords de paix entre les Tigres et le gouvernement sri lankais en 1987. En vertu de cette entente, les Tigres tamouls gouvernent les provinces du Nord et de l’Est, tandis que l’Inde envoie des troupes pour protéger les Tamouls qui s’engagent à rendre les armes.
Les Tigres sont réticents à se désarmer parce qu’ils ne font pas confiance au gouvernement sri lankais. Ceci provoque des tensions avec les forces de paix indiennes qui finissent par se battre contre les rebelles tamouls.
En 1989, inquiet de la présence indienne et craignant pour la souveraineté de son pays, le nouveau président sri lankais, Ranasinghe Premadasa, décide d’armer clandestinement les Tigres tamouls ! Las des combats, Rajiv Gandhi doit rappeler ses troupes, ce qui constitue un des épisodes les plus humiliants de l’histoire de l’Inde moderne.
L’intervention indienne a permis aux Tigres tamouls de gagner le contrôle du nord et de l’est du Sri Lanka, berceau de l’Eelam Tamoul, le pays qu’ils veulent créer. Leur but est maintenant de défendre ce territoire contre le gouvernement sri lankais, de créer un appareil d’État et d’être reconnu sur la scène internationale.
En 1991, les Tigres commettent cependant une grave erreur en assassinant Rajiv Gandhi pour venger l’intervention indienne au Sri Lanka. Ce geste les hante jusqu’à aujourd’hui, et ils ont mal anticipé les répercussions de ce meurtre. Ils sont bannis de l’Inde, leur base arrière d’où ils obtenaient des armes, de la formation militaire et de l’argent. Depuis, l’Inde refuse de les appuyer.
Les Tigres ont par la suite exprimé leurs remords concernant ce meurtre. Leur porte-parole, Anton Balasingham a affirmé en 2006 « que cet événement est une tragédie historique monumentale que nous regrettons profondément ».
En plus d’aliéner les Indiens, les Tigres tamouls se sont mis à dos un autre allié : les musulmans. En 1990, ils chassent brutalement les musulmans vivant dans le nord du Sri Lanka, sous leur contrôle ; les Tigres les soupçonnaient d’être des espions du gouvernement sri lankais. Les musulmans vivaient depuis longtemps dans cette région et parlaient tamoul. Ils avaient même combattu avec des Tamouls contre le gouvernement sri lankais. En 2002, les Tigres s’excusent de ce nettoyage ethnique et ils invitent les musulmans à revenir. Mais le mal était fait. Les musulmans ne leur font plus confiance et ils se regroupent au sein de leurs propres organisations pour défendre leurs droits.
En 2002, un cessez-le-feu entre les Tigres et le gouvernement est conclu grâce aux efforts de la Norvège. L’arrêt des combats vise à trouver une solution à ce conflit ethnique. Même si ce cessez-le-feu est celui qui a tenu le plus longtemps, il est violé à maintes reprises par les deux parties.
Des divisions apparaissent alors chez les Tigres. Leur leader de l’Est, Karuna Amman, aujourd’hui ministre dans le gouvernement sri lankais, quitte le mouvement avec ses hommes pour se ranger derrière le gouvernement. Cette défection porte un coup très dur aux Tigres.
Les Tigres dénoncent aussi une clause de l’accord de cessez-le-feu, qui donne au gouvernement, en tant qu’État, le droit d’assurer sa sécurité nationale, droit refusé aux Tigres. Avec une telle clause, les Tigres sont accusés de terrorisme lorsqu’ils tuent leurs ennemis, tandis que le gouvernement invoque la sécurité nationale lorsqu’il fait de même.
Dans l’après 11 septembre 2001, le gouvernement sri lankais réussit à convaincre l’Union européenne et le Canada, des régions du monde abritant une forte diaspora tamoule favorable aux rebelles, de désigner les Tigres comme un groupe terroriste, ce qui nuit à leurs activités de financement. Les Tigres concluent que le gouvernement sri lankais cherche surtout à les affaiblir, plutôt qu’à résoudre le conflit.
En guise de représailles, lors des élections générales de 2005, les Tigres empêchent le vote des citoyens vivant dans le territoire qu’ils contrôlent. Ce boycottage donne la victoire à Mahinda Rajapakse face à un adversaire beaucoup plus conciliant, qui aurait peut-être évité une reprise de la guerre ; une autre erreur majeure pour les rebelles.
Bien en selle, Rajapakse prône la ligne dure en relançant les combats, tout en adoptant une diplomatie astucieuse. Le nouveau président s’appuie sur la Chine et la Russie pour se doter d’un arsenal militaire redoutable, sur l’Iran pour financer ses opérations et sur le Pakistan pour la formation des troupes. L’Inde fournit aussi une aide discrète pour en finir avec Prabhakaran, le leader des Tigres et l’homme le plus recherché depuis le meurtre de Rajiv Gandhi. Jusqu’à la toute fin du conflit, l’appui de la Russie et de la Chine a permis d’éviter que la question sri lankaise soit soulevée au Conseil de sécurité de l’ONU.
Un conflit loin d’être réglé
Avec la défaite des Tigres, c’est maintenant la diaspora qui s’oppose au gouvernement sri lankais. Les Tamouls vivant à l’étranger l’accusent de génocide, d’avoir visé délibérément des civils.
Le président Rajapakse soutient que pour régler la question tamoule, il doit ignorer les Tamouls vivant à l’extérieur du Sri Lanka : « Nous devons trouver une solution au conflit avec les gens d’ici. Cette entente doit être acceptable pour toutes les communautés », a-t-il dit au parlement.
Mais rien n’indique que le gouvernement ait un plan concret à cet égard. Dans une entrevue accordée à la BBC, le député sri lankais d’origine tamoule, R. Sambandan, a résumé les craintes des Tamouls : « Il n’y a aucune vision à propos d’une solution politique. » Tout comme des membres de la diaspora, il prône le modèle fédéral canadien, particulièrement le cas du Québec, pour accommoder les Tamouls au Sri Lanka.
Les Tigres ont été anéantis, mais ce conflit ethnique est loin d’être résolu.