La Syrie à la croisée des chemins

vendredi 18 novembre 2005, par Pierre Beaudet

Depuis la publication du rapport de l’envoyé spécial de l’ONU Detlev Mehlis, la Syrie est sur la brèche. Le 15 décembre prochain selon les termes de la résolution 1636 de l’ONU, la Syrie doit répondre aux exigences du Conseil de sécurité et fournir toute l’information relative à l’attentat contre l’ex-Premier Ministre libanais Rafik Hariri. Jusqu’à maintenant cependant, le gouvernement de Bashar al-Assad semble assez récalcitrant. Le fait que la résolution ne mentionne pas le mot « sanction » (en cas d’un refus de coopérer) n’est pas en soi ce qui va sauver le pays de la pression internationale puisque, selon le chapitre Vll de la charte, toute résolution non-respectée par un État membre débouche nécessairement sur une étape supérieure.

Réaction défensive

Le régime a entrepris une campagne pour discréditer le rapport Mehlis, tout en promettant d’une manière un peu vague de coopérer avec l’enquête. Entre-temps, les six Syriens identités par Mehlis comme faisant partie prenante de la conspiration ont été interdites de quitter le pays. Mehlis pour sa part insiste pour qu’il puisse les interroger dans un tiers pays, normalement au Liban. La rumeur à Damas est à l’effet que Assad compte sur un blocage au sein du Conseil de sécurité de la part de plusieurs pays, la Chine, la Russie et l’Algérie notamment. Parallèlement, le gouvernement tente de convaincre la population que tout cela découle d’une stratégie pour briser la Syrie et non pas seulement le régime, ce qui ne semble pas convaincre beaucoup de monde. Le gouvernement n’aide pas sa cause en bloquant des réformes politiques et économiques qui indiqueraient au moins le début de changements que tout le monde juge nécessaires. Avec le Liban, la Syrie continue de mener une campagne de peur, en menant à mi-mots que le pays va à nouveau sombrer dans la guerre civile si la situation se détériore en Syrie. Bien des Libanais ont peur, mais cela ne diminue pas le rejet de la Syrie, au contraire. Damas espère tout de même que les Libanais au bout de la ligne vont préférer un statu quo désagréable à un chaos destructeur.

Gestion erratique

Avant sa mort durant l’été 2000, Hafez al-Assad avait tenté de préparer sa succession. Mais la disparition de son fils aîné Basil a semé la confusion. Par la suite, la désignation de Bashar comme le successeur désigné a été acceptée comme un moindre mal. Après avoir tenté d’affermir son autorité contre la « famille élargie » et les clans qui lui sont associés, Bashar s’est finalement résigné à gérer un consensus fragile. Cette gestion condamne le présent régime à une sorte d’inertie. D’une part on reconnaît l’importance d’une réforme économique, mais d’autre part, rien n’est fait pour confronter le pouvoir des mafias plus ou moins occultes qui contrôlent les activités les plus lucratives comme l’import-export. D’une part, Bashar lance un appel au dialogue à l’opposition et à la société civile tout en libérant des prisonniers politiques, mais d’autre part, les responsables des forums civiques sont arrêtés ou intimidés. D’une part des négociations sont engagées avec l’Union européenne (désireuse d’empêcher Washington de déclencher une spirale de confrontations), mais d’autre part, les pourparlers sont suspendus sans explication. Des ambiguïtés similaires subsistent sur la politique syrienne à l’endroit de la Palestine, de l’Irak et d’autres situations, sans compter le chaud et le froid qui est lancé sur Washington à tout bout de champ. En comparaison avec les manœuvres subtiles de son père, Bashar a l’air d’un amateur. Au Liban en tout cas, les résultats ont été désastreux puisque la majorité de l’élite politique et de la population se retrouve contre Damas.

La « déclaration de Damas » de l’opposition ouvre la voix

Récemment, on a entendu du président Bashar un ton désabusé, cynique, presque résigné. « Le monde entier est contre nous » semble-t-il dire. Mais la réalité est plus complexe. L’Europe et notamment la France ne veulent pas d’un crash à l’irakienne pour la Syrie. Ils ne veulent ni isoler Bashar ni imposer un « changement de régime ». Entre-temps, l’opposition syrienne semble proposer un discours critique mais modéré et nuancé, qui exclut toute ingérence étrangère. Dans une récente « déclaration de Damas », la majorité des forces d’opposition incluant les Frères Musulmans demandent un dialogue fructueux avec le gouvernement et se présente comme une force patriotique qui veut des changements pacifiques tout en demandant la fin du régime sécuritaire en place qui verrouille l’État et la société civile.

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