La Bolivie, la tête haute

samedi 1er mars 2003, par Melanie TAKEFMAN

Les violentes démonstrations qui ont secoué la Bolivie à la mi-février ne sont pas choses courantes dans l’histoire du pays. La proposition de hausser l’impôt sur le revenu, qui a fait éclater la colère de la population, en février dernier, expose au grand jour l’insatisfaction croissante de la population envers les politiques néolibérales de son gouvernement. La Bolivie, le pays le plus pauvre d’Amérique du Sud, résiste tant bien que mal à la domination étrangère.

Lors du Sommet de la ZLÉA, qui s’est déroulé en Équateur en octobre dernier, 34 ministres du Commerce ont convenu de réduire les tarifs douaniers et les subventions à l’agriculture. Les pays les plus pauvres, comme la Bolivie, se sont opposés à ces mesures, qui rendent l’exportation aux États-Unis quasi impossible, tout en menaçant l’économie locale.

Patricia Ugalde est agente de communication à Mujeres en Accion, une organisation qui offre de la formation aux femmes désirant démarrer leur entreprise. Le libre-marché, explique-t-elle, « a amoindri les efforts que nous avons faits pour aider les femmes à faibles revenus à se lancer en affaires. » Un petit producteur de saucisses a récemment fait faillite lorsque des produits argentins similaires mais moins dispendieux ont envahi le marché bolivien.

Mme Ugalde affirme que supporter les petites entreprises est l’une des façons de résister aux imperfections d’un marché mondialisé. Les militants anti-mondialisation demandent aussi un référendum national afin que la population bolivienne se prononce sur la participation de la Bolivie à la ZLÉA.

Scène politique

L’appui populaire important dont jouit Evo Morales, leader du Mouvement socialiste (MAS), premier parti d’opposition en Bolivie, n’est pas sans inquiéter les États-Unis. Depuis que la Bolivie a commencé à produire du coca pour la consommation nord-américaine, dans les années 1960, le gouvernement américain s’est vigoureusement opposé à cette culture. Or, Eva Morales agit aussi comme leader des cocaleros (cultivateurs de coca), qui manifestent pour garder le droit de cultiver cette plante à des fins traditionnelles. En effet, celle-ci est utilisée depuis des siècles par les Andin, pour soulager la faim et la fatigue. Mais elle peut aussi être transformée en cocaïne.

Quelques jours avant les élections de juin 2002, l’ambassadeur américain en Bolivie Manuel Rocha avait déclaré que si Morales était élu président, les États-Unis imposeraient un embargo sur le gaz et les textiles en plus de retirer leur financement pour les projets de développement.

En réponse à la déclaration de l’ambassadeur, Morales a affirmé : « Si les États-Unis veulent le respect, ils doivent d’abord nous respecter, ce qui signifie plus de conditions ou de programmes. Nous ne serons pas isolés. » Cette sortie a servi la campagne électorale de Morales. Le MAS a récolté 20,9 % du vote populaire aux élections du 30 juin 2002, arrivant bon deuxième après le Mouvement révolutionnaire nationaliste qui a recueilli 22,5 % des votes.

Le déclin des multinationales

En 2000, une grève générale a forcé le gouvernement bolivien à briser un contrat avec Betchel Corpration, une compagnie basée à San Francisco qui a mis la main sur le système d’eau public de la ville de Cochabamba. Le prix de l’eau avait augmenté jusqu’à 300 %.

Par conséquent, la compagnie Betchel a poursuivi la Bolivie afin de se faire rembourser les 25 millions de dollars perdus dans l’investissement, via une division de la Banque mondiale. Une coalition formée de 41 pays ont contesté la poursuite et en juillet 2000, la ville de San Francisco a ordonnée à Betchel de retirer sa requête. Malgré tous ces efforts, le litige n’est toujours pas réglé.

Une autre victoire importante est la fermeture de tous les restaurants McDonald’s en novembre dernier. Les Boliviens ont eu des réactions partagées : plusieurs personnes ont perdu leur emploi, mais McDonald’s était aussi considéré par plusieurs comme « un élément étranger à la culture de notre pays », selon l’éditorialiste du Boliviapress, qui rappelle que la multinationale importait la plupart de sa nourriture.

Augmentation des impôts

La proposition d’augmenter l’impôts sur le revenu, qui a déclenché les violents incidents de février dernier, vise à diminuer la dette de la Bolivie, évaluée à 4 millions de dollars US. Les policiers, qui ont déclenché la révolte, étaient doublement insultés puisqu’ils se sont vus refuser une augmentation salariale de 40 %. Ces mesures sont considérées par plusieurs comme le résultat de l’application des programmes d’ajustement structurel (PAS), politiques de restructuration de l’économie à saveur néolibérale, imposées par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) aux pays du Sud.

Les soulèvements ont causé une onde de choc dans tout le pays, jusqu’au bureau du président Goni Sanchez de Lozada. Le leader de l’opposition, Evo Morales, de concert avec plusieurs citoyens, a demandé sa démission. Le 15 février dernier, le président s’engageait à « écouter la population » et promettait, afin de réduire la dette, de diminuer le nombre de ministères et de donner une partie de son salaire aux orphelins et aux aînés. Même si les derniers développements semblent encourageants aux yeux des Boliviens, peu de gens s’attendent à des actions concrètes.

Les Boliviens auront démontré qu’ils ne veulent pas servir des intérêts économiques étrangers et qu’ils sont prêts à se battre pour conserver leur autonomie. C’est ainsi que l’on pouvait récemment lire dans un éditorial du quotidien El Diaro : « Le nouveau budget national doit […] respecter notre souveraineté et ne doit pas être élaboré au détriment des plus démunis. »

Melanie Takefman, collaboration spéciale


L’auteure revient d’un séjour en Bolivie où elle a travaillé avec une ONG locale.

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