La Bolivie à l’heure des réformes

jeudi 27 novembre 2008, par Manuel De La Fuente

« Le problème est que le pays vit une période de réformes… mais tant l’opposition que le gouvernement agissent comme s’ils étaient en face d’une révolution.* »

La Bolivie fait les manchettes depuis quelques années. Premièrement parce que pour la première fois un autochtone, Evo Morales, occupe la présidence. Ce pays a toujours été dominé par les élites blanches ou métissées, malgré la présence de plusieurs autochtones à des postes importants de l’appareil de l’État, tant au niveau national que local depuis la révolution démocratique de 1952.

Deuxièmement parce qu’Evo Morales et son parti, le Mouvement vers le socialisme (MAS), ainsi que les mouvements sociaux, les syndicats et les groupes de gauche de différentes tendances proposaient de faire la révolution dans le cadre démocratique bolivien. Une révolution qui remet évidemment en cause non seulement le modèle néolibéral en vigueur dans le pays, mais aussi le système capitaliste ; une révolution qui se dresse contre l’état de dépendance de la Bolivie dans l’économie mondialisée ; une révolution au visage autochtone qui modifie les relations de pouvoir entre les différents groupes ethniques en donnant la prééminence aux peuples indigènes.

Ce programme a suscité l’enthousiasme de millions de gens habitant la Bolivie, mais aussi à l’étranger, chez ceux qui ont émigré ou parmi les milieux progressistes. Il a cependant fait peur aux groupes dominants du pays qui ont usé de tous les mécanismes, juridiques ou autres, pour éviter que le changement nuise à leurs intérêts. La confrontation est alors devenue permanente, et les violences politiques spontanées ont coûté la vie à beaucoup de personnes.

Mais peut-on parler de révolution bolivienne ?

Quelques exemples nous permettent d’affirmer qu’il n’y a pas révolution et qu’en réalité nous vivons un processus de réformes profondes et nécessaires. Le premier exemple concerne les hydrocarbures. En mai 2006, le gouvernement Morales a annoncé en grandes pompes la nationalisation de l’industrie pétrolière, qui est aux mains de multinationales. L’État a saisi les puits de pétrole et les édifices des entreprises étrangères. Mais après ce coup de force, avant tout médiatique, la nationalisation a montré son vrai visage : une renégociation des contrats avec les compagnies. Ces pourparlers ont permis au pays d’obtenir une plus grande partie des bénéfices de la rente pétrolière, ainsi qu’une participation majoritaire dans le capital de ces entreprises. Dans quelques cas seulement, comme avec les raffineries de Petrobras, l’État a dû acheter l’ensemble des actions parce que la compagnie refusait de s’associer avec la société publique qui a la formidable tâche de diriger les entreprises mixtes qui contrôlent pratiquement la totalité de l’industrie gazière et pétrolière bolivienne. De plus, cette société publique a la gigantesque mission d’industrialiser le secteur du gaz, ce qui est une révolution pour le pays, puisque la Bolivie se caractérise comme exportateur de matière première.

Le second exemple concerne les terres. Une vaste réforme agraire était espérée, mais dans les faits, le gouvernement applique une loi approuvée en 1996 et modifiée en 2006. Cette loi permet une certaine redistribution des terres en expropriant les grands domaines exploités de manière archaïque et les propriétés toujours régies par des relations de servage. Grâce à l’application de la loi, des millions d’hectares ont été octroyés aux autochtones. Mais cela n’a en rien affecté les grands propriétaires de fermes agricoles ou d’élevage qui ont pu justifier la « fonction économique et sociale » de leurs terres. Comme preuve qu’il ne s’agit pas d’une réforme agraire en profondeur, la nouvelle constitution propose que les nouvelles dimensions maximales des propriétés ne soient pas imposées rétroactivement. Ceci veut donc dire que les actuels propriétaires ne verront pas leurs terres amputées.

Un dernier exemple touche l’assemblée constituante qui devait modifier radicalement la place des différents groupes ethniques du pays en donnant une place prépondérante aux peuples indigènes. Cette assemblée, formée pour accoucher d’une nouvelle constitution, était considérée comme étant au-dessus des pouvoirs établis. Boudée par l’opposition, elle a présenté en 2007 un document très polémique. Ce texte fut toutefois modifié par un groupe restreint de gens appartenant au MAS et aux partis d’opposition. 300 des 400 articles de ce projet de constitution ont été changés. Cet accord n’a pas été soumis aux membres de l’assemblée constituante. Il a plutôt été ratifié par le Congrès.

Cette proposition constitutionnelle sera votée par référendum en janvier. Même si elle représente une avancée importante pour les peuples indigènes, ainsi que pour les droits citoyens, il reste que cela coupe court aux revendications des militants des mouvements sociaux associés aux autochtones. Ceci ne répond pas non plus aux demandes des oppositions régionalistes qui désiraient une « pleine autonomie », c’est-à-dire la majorité des pouvoirs pour les départements qui seraient autonomes après l’approbation de la nouvelle constitution.

Le MAS, qui s’est opposé à plusieurs reprises à l’autonomie départementale et qui a tenté de maintenir la centralisation et le cumul des pouvoirs dans les mains du président, a dû modérer ses ardeurs. Ici, comme dans d’autres dossiers, les choses ne sont pas réglées. Une fois que la constitution sera ratifiée par référendum, une série de lois devront être approuvées pour permettre la mise en œuvre de ses articles. Des luttes entre les centralisateurs et les autonomistes sont de nouveau à prévoir, tout comme des tensions entre les groupes indigènes et les métis.

La révolution proposée par Evo Morales devait se réaliser en démocratie, une démocratie avec des institutions et des règles que ne facilite pas nécessairement le changement. De plus, le fait que la majeure partie des ministres, des fonctionnaires, des sénateurs et des députés du MAS n’aient aucune expérience dans la gestion de l’État entrave le bon fonctionnement du pouvoir exécutif et législatif, tout comme les actions de l’opposition qui, elle, connaît bien l’État, mais tente de bloquer toute tentative de changement.

Ceci affaiblit les institutions et suscite une polarisation qui pourrait être catastrophique. Il ne reste qu’à espérer que les derniers accords concernant la constitution, conclus par le MAS et l’opposition à l’encontre de leurs factions radicales, ouvrent la voie à un dialogue fructueux et au respect inconditionnel de la démocratie en Bolivie.

* Citation de Marco Aurelio García, conseiller du président brésilien Lula, tirée d’un article de Raúl Zibechi publié dans www.ircamericas.org/esp/5551.


L’auteur est professeur à l’Université San Simon de Cochabamba.

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