L’urgence d’écrire de Nguyen Huy Thiep

jeudi 1er juillet 2004, par Alexandra GILBERT

En 1987, Nguyen Huy Thiep publie Un général à la retraite, un ouvrage qui rompt avec le réalisme
socialisme et le patriotisme jusqu’alors propres à la littérature vietnamienne contemporaine. Plusieurs
années après l’onde de choc causée par cet ouvrage contestataire, Alternatives a rencontré à Hanoï
l’écrivain vietnamien le plus lu à l’étranger, en compagnie d’un jeune auteur Nguyen Viet Ha, représentant
d’une génération coincée entre la figure de Thiep et les contraintes du système politique.

En 1986, le 6e Congrès du Parti communiste vietnamien adopte une réforme économique et politique connue sous le nom de doi moi (renouveau). C’est l’époque des grands changements que Thiep décrit comme l’ouverture d’une porte sur des espaces inexplorés pour la société vietnamienne. Profitant du flou entourant
la réforme et d’un relâchement de contrôle, les plus opportunistes s’y faufilent et s’engouffrent dans le vol, la corruption, les magouilles politiques
ou se complaisent dans l’appât du gain. Thiep franchi aussi le seuil de cette porte, mais pour écrire :
« Être publié été la chance de ma vie. Ou ma plus grande malchance. »

Quête de sens

Historien de formation, il a été jusqu’en 1986 illustrateur de manuels scolaires. Il décrit son urgence d’écrire par une phrase : « Ce que nous voyons
dans la société nous blesse. »
Thiep veut exprimer les maux de la société, décrire des êtres humains hors de la
guerre, s’attarder sur l’individu dans la société. Sous sa plume, le langage change, s’individualise ; ses ouvrages parlent au « je », reléguant le « nous »
traditionnel à une littérature d’une autre époque. Il revisite l’histoire de son pays, revoit le rôle des grands héros glorifiés par la patrie, empereurs ayant tôt frayé avec les puissances étrangères
afin de conserver le pouvoir ; exprime la perte de valeurs, la quête de sens d’une société en mutation. Passant du théâtre à la nouvelle, toujours dans un style au symbolisme subtil, mais fort. Les premiers écrits
de Thiep, publiés dans un journal vietnamien, lui valent d’être renvoyé par son éditeur.

Un général à la retraite a été la première de ses œuvres à marquer une profonde rupture dans la littérature vietnamienne. Mais bien d’autres ouvrages ont suivi et plusieurs de ses recueils de nouvelles sont publiés en français aux éditions de l’Aube. Thiep demeure l’écrivain vietnamien le plus lu à l’extérieur du pays, apprécié à la fois par la diaspora vietnamienne et par les étudiants étrangers qui lui consacrent thèses et mémoires.

La jeune génération

Ainsi, Nguyen Huy Thiep a pavé la voie à un renouveau littéraire. Et Nguyen Viet Ha, de la jeune génération - en attente d’une première publication en français - décrit Thiep comme un avant-gardiste. Pour Thiep, la jeune génération d’écrivains veut contribuer à élargir ce sentier ouvert par ses propres ouvrages, mais ne parvient ni à aller plus loin dans l’expression ni à faire reconnaître l’importance de la littérature contemporaine. Les deux auteurs décrivent une société contradictoire : le « pragmatisme communiste » valorise le gain et l’argent et paradoxalement, bien qu’il ne s’intéresse pas à la culture et à la littérature, il les contrôle toujours étroitement... Pour publier au Vietnam, il faut obtenir un permis, émis après que les œuvres aient été soigneusement évaluées par la censure. Thiep compare la publication à un passage à la douane où un comité décide ou non du droit de vous laisser passer avec votre bagage, selon son contenu. Les deux auteurs estiment que 70 % des publications sont informelles, ayant été rejetées par la censure ; les ouvrages sont imprimés à la photocopieuse du coin, distribués clandestinement, puis saisis...Une routine. Pour Thiep, du point de vue de la liberté d’expression, le doi moi n’est qu’une apparence.

Sous la passion pour l’écriture, ce besoin viscéral de crier les maux d’une société en mutation, on lit entre les mots soigneusement choisis pour exprimer la tolérance du gouvernement à l’égard des auteurs de la trempe de Thiep, les souffrances et les frustrations de ceux qui habitent et façonnent cet espace littéraire encore fort restreint...


L’auteure a réalisé cette entrevue au Vietnam lors d’une mission pour Alternatives, ce printemps.

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